Le Matin de Paris
18 octobre 1982

Piano bar
William Sheller, c'est bien, vous savez...
(par Philippe Adler)




Evidently, comme tout le monde, j’aime bien Elton John. Ah, Bernie and the jets, quel pied ! Mais je râle. Parce que nous, en France, on en a un qui pourrait bien lui mordiller les tétons, à Elton. Seulement voilà, il s’appelle William Sheller et il chante en français. Alors, comme c’est pas cautionné par le hit-parade mondial, c’est visiblement vachement moins exotique à merchandiser. Tenez, on m’a déjà souvent invité à bouffer (« Oublie pas d’apporter le magnéto ! ») avec Elton. Avec Sheller, jamais. Vous me direz, c’est pas une bouffe qui fait l’artisse. Right, right. Seulement quand on vous invite, même si vous n’y allez pas, vous vous dites : « Tiens, Tiens, i’font un effort sur ce mec. Et si j’étais passé à côté ? » Et vous réécoutez. Marrant, mais apparemment, chez Phonogram, de Sheller, i’s’en foutent un peu. Dommage qu’on sache pas mieux s’occuper de nos gisements nationaux.
Cela étant posé sur la nappe pleine de taches, Sheller - c’est sûr – est plus modeste, plus introverti, moins star, moins fou qu’Elton, mais à part ça, j’vois pas de différences himalayesques. Il est lui aussi un fabuleux mélodiste et un bien tendre raconteur de jolies histoires. Je me dis tout ça en écoutant son double album William Sheller-enregistrement public Olympia82- (Philips 6622035) et les trois beignes qui saluent ses chansons –oui, je sais, les gens du métier étaient nombreux dans la salle et quand on est invité, ça fait plouc d’aplaudir-. Mais c’est râlant.
Râlant, parce qu’il y a sur ce double de vraies merveilles -Un endroit pour vivre, Oh ! j’cours tout seul, Petit comme un caillou, Nicolas, Le Carnet à spirale- Des chansons ravissantes, pudiques, tendres, drôles. un piano grave et mélancolique mais prêt à se cabrer sous les doigts-fouets de son maître. Un réjouissant quartet à cordes. Le sax aérien et « sanbornien » de Patrick Bourgoin. De formidables musiciens comme Bernard Torelli, Jacky Arconte, Kako Bessot et Stéphane Ianora. Mais que voulez-vous, un bassiste qui se nomme Dupont, ça fait pas sérieux : comment voulez-vous avoir l’air branché en sortant un nom pareil à la radio, hein ? Merde, réveillons-nous. Ne laissons pas crever d’indifférence des mecs comme Sheller. N’attendons pas qu’il soit allé faire trois tubes sur Santa Monica Boul’vard. Ah ! Ce jour-là, Rock en folie lui fera une couverture en quadri. En attendant, on laisse aller, c’est un tango. Quelques passages radio, de temps en temps un mini-tube, et puis on retombe [dans la] routine. Moi, ça m’embête. Pis, ça me gonfle et je suis déjà bien assez gros comme ça. Si on se battait un peu, tous, pour que Sheller soit enfin entendu ? Et écouté ?