Télérama N°1809
15 au 21 septembre 1984
-Rencontre à l'occasion d'une série de concerts à l'Olympia, 11 au 16 septembre 1984-

Sheller Symphonie
(par Anne-Marie Paquotte)



Paillettes, minettes et belles voitures, non merci ! William Sheller a d’autres variétés et plus d’une note dans la tête. Il explore tous les sentiers et s’invente d’autres musiques : de films, de ballets et même des symphonies !

 


Flash-back. My year is a day : un tube en 68, chanté par Les irrésistibles. Auteur, William Sheller. Dans la ville endormie susurré par Dalida. Auteur, William Sheller. Erotissimo : chanson du film, Michel Polnareff (1). Musique du film, William Sheller.  Lux aeterna, messe pour chœurs, orchestre et pour un mariage d’amis. Compositeur : William Sheller. La Louve. Album de Barbara. Orchestrateur : William Sheller. Rock'n'dollars. Auteur, compositeur, interprète : William Sheller…

Stop ! Arrêtez tout ! On tient le tube, là, coco. Lis l’étude de marché : «Sheller, un chanteur sympathique et qui donne envie de danser.» Tu nous en fais d’autres, dans la foulée ?
Dans la foulée, il y eut Le carnet à spirale, Dans un vieux rock’n’roll, autres tubes. Et d’autres choses, plus ou moins bien venues. Le chanteur s’ennuyait dans la variété. On le vit, pantalon flou et chemise vague (ou inversement), le cheveu blond, la moustache fluctuante et l’air un peu fermé, pianoter en play-back à la télé. Puis on le vit moins. Il composait, une musique de ballet pour le Paradis latin, un concerto pour violon dédié à Catherine Lara, des musiques de films. Quelques concerts. Des albums, dont le beau Nicolas, enregistré à Los Angeles.
Fondu au noir. Et voilà le Sheller 84. Une tournée triomphale en Belgique cet hiver avec un spectacle acoustique, piano et quatuor à cordes (comme à l’Olympia actuellement), un mini-album de six titres (l’artiste est frustré) ; la reprise de l’un, Mon Dieu que j’l’aime, en français, en anglais et en vidéo-clip ; la sortie d’un album de quatuors (à cordes, toujours). L’artiste n’a plus l’air fermé, mais heureux. Le chanteur de variétés, «sympathique et qui donne envie de danser», est un musicien d’aujourd’hui.

« Je ne me voyais pas passer ma vie à acheter de belles voitures, signer des autographes et écrire des chansons gentilles. J’approche de la quarantaine, je ne vais pas jouer les jeunes chanteurs bondissants. Et pourquoi pas le smurf, tant qu’on y est ? !»
Ah non, le genre ne figure pas dans ses cartons de partitions, entre les musiques de films, de  ballets, de théâtre, les projets de symphonies et les chansons. « Un graphiste peut faire des toiles immenses, des illustrations pour des livres, des cartes postales. Pourquoi un musicien devrait-il se restreindre à un seul espace,  une seule forme d’expression ? »

Piano songeur et douceurs californiennes
Joli parcours que celui de Sheller. De l’enfant qui rêvait dans les cintres et les coulisses de l’Opéra, sur les pas du grand-père réalisateur des décors, à l’élève brillant destiné au Prix de Rome : «Je ne voulais pas être Presley, mais Bernstein ou Gershwin. Mais l’initiation à la musique dodécaphonique ou sérielle m’a rebuté. Je préfère dire : je plaque un accord, que : j’émets un complexe sonore à densité fixe ! ».
Peu soucieux d’écrire des œuvres « modernistes », Sheller passe à la variété, où il pense pouvoir exprimer l’image et l’émotion de ce temps qu’il vit, comme il le vit. De fait, beaucoup de ses chansons ont une vibration originale. Piano songeur et lancinant, cuivres éclatants et charnus, douceurs californiennes, mélancolies européennes, rythmiques obsédantes.
Mais le côté paillettes et bubble-gum de la profession, donc, affole un peu le musicien, qui répugne à figurer dans les fan-magazines style Waouh les frangins, et à radoter ses tubes sur scène pour d’intimidantes minettes. Alors Sheller s’invente d’autres musiques, qu’il conjugue au futur immédiat et allie, ou non, à des textes aux parfums de nostalgie. « La musique, c’est comme des flashs de voyance. C’est à partir d’eux qu’on échafaude, qu’on structure ».
S’il n’a pas la prétention d’écrire du classique, William Sheller a celle d’être un musicien contemporain. Il est ravi quand des étudiants du Conservatoire viennent potasser ses partitions. Il évoque avec passion la scène et les spectacles. 

 

"Quel beau silence dans la salle"
«J’ai réellement découvert la disponibilité du public quand j’ai fait des concerts en piano-solo. Et je m’en régale avec mon actuelle formule acoustique. Quel beau silence dans la salle. J’alterne chansons et morceaux instrumentaux. Apparemment, les gens aiment. Et moi, j’aime partager ce climat avec lui. On est dans la même eau [là, c’est le cancer qui parle], dans la même histoire. Comme si on composait quelque chose ensemble, dans l’instant. »
Mais le musicien est toujours prêt à changer d’instrumentation. Pour son clip, il a écrit de nouveaux arrangements, plus rock. Pour lui, chaque élément de son métier : la scène, le disque, la vidéo, est un langage autonome. Aucun ne doit rappeler un des autres, sinon pour surprendre et enrichir l’écoute, chaque fois provoquer la découverte. « Les artistes prennent des risques, pas les maisons de disques. Ils construisent leur spectacle, inventent, créent, se créent. »

Sheller, créateur secret, discret, éclatant d’une chanson nouvelle pour demain. Si on n’en fait pas les otages de la crise, les artistes vont pouvoir, comme lui, explorer tous les sentiers de la musique, exploiter toutes les nouvelles technologies.
Utopie ? « Rien ne nous empêche  de voir la vie en symphonie ! »


DISCOGRAPHIE DE WILLIAM SHELLER :
* Rock'n'dollars. Philips 6325 213
* Dans un vieux rock’n’roll. Philips 9101 054
* Symphoman. Philips 9101 143
* Nicolas. Philips 9101 291
* J’suis pas bien. Philips 6313 206
* Ses plus grands succès. Philips 6622 018
(double album)
* Olympia 82 (enregistrement public). Philips 6622035 (double album)
* Simplement.  Philips 814 986-1
(album de six titres)
* Quatuors. CBS (à paraître)

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A l’Olympia jusqu’au 16 septembre.

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Note du site :
(1) Toute la BO du film Erotissimo a été composée par William Sheller (avec des paroles de Michaële pour la chanson précisément intitulée Erotissimo), sauf une chanson due à Michel Polnareff, La Femme faux-cils.