Numéros 1 magazine N°19
octobre 1984

William Sheller
Il ne faut pas confondre artiste et homme d'affaires




William Sheller parle de son métier, de sa vision du Show-biz, de ses fantasmes, mais souci de compromis ou de marketing : il ne joue pas au chanteur. Une attitude saine mais… à double tranchant pour qui connaît les mécanismes inamovibles de ce métier.


- Numéros 1 magazine : « Que penses-tu de ces nouveaux mini-albums qui font beaucoup parler d’eux ? »

- William Sheller : « Je comprends très bien que certains artistes - moi le premier - se sentent frustrés par cette nouvelle formule. Le problème est que les maisons de disques ont décidé cela sans prévenir les médias. D’après elles, c’est moins une question de mode que de prix de vente. Il faut dire aussi que l’on était habitué à avoir un album dont un titre tirait les autres. Du remplissage. Cela ne s’est pas fait avec l’accord des artistes. On n’a pas le temps d’installer un climat sur trois chansons par face. »

- « Crois-tu que ce phénomène ira en s’accentuant ? »
- « Oui, vraisemblablement ! Par contre je trouve que c’est une bonne carte de visite pour quelqu’un qui démarre, mais pour des artistes installés c’est extrêmement frustrant. On a réduit l’épaisseur des disques, on a fait un tas de choses et l’on vend actuellement des produits complètement cheap. C’est vraiment dramatique. Un esprit du temps qu’il convient de redresser par d’autres solutions. Je préfère me taire pendant deux ans plutôt que de refaire un second 6 titres. »

- « Crois-tu que le Show business est un milieu cloisonné ? »
- « Oui ! De plus, le Show-biz est une petite citadelle méprisée par l’Art. Personne ne pense qu’il est un milieu créatif (mis à part les Américains beaucoup plus ouverts sur toutes les disciplines artistiques). Les jeunes musiciens ont une notion nouvelle de leur métier. Mais le Show-biz, né des années 60 est en train de s’écrouler. »

-   « Ne crois-tu pas qu’il y aura toujours des Karen Cheryl ou des Linda de Suza ? Il semble évident que le public a, lui aussi, ses automatismes. »
- « Evidemment ! Il y a des artistes qui représentent certaines choses, une ethnie par exemple comme Linda, une formule-chanson comme Karen. Les deux artistes que tu cites me sont infiniment plus sympathiques que certains " robots". Ce sont des gens qui font leur métier, qui ont un public. A partir de là, c’est une question de goût personnel, de choix. Il y a des tas de gens qui aiment Annie Cordy. C’est quelqu’un qui fait son boulot sincèrement. J’ai plus de considération pour toutes ces personnes, que pour toutes les nanas et autres petits mecs qui essayent de faire du sous-quelque chose. »

- « Comment vois-tu l’horizon musical à court terme ? »
- « Je suis assez optimiste ! On dit "la crise" !  Pour moi c’est uniquement une crise d’imagination. Les maisons de disques ne sont pas là pour créer mais pour vendre. Il ne faut pas confondre artiste et homme d’affaires. Un faux climat s’est instauré, qui ne durera pas du reste. »

- « Sûr qu’il y a une crise… »
- «  Je n’achète pratiquement plus de disques. Sur les FM j’écoute tous les disques que j’ai envie d’entendre et je fais comme tout le monde, j’appuie sur la touche et la cassette enregistre. »

- « Comment vois-tu le langage que tu utilises dans tes chansons ? »
- «  C’est une obsession. Tout ce qui est communication touche à l’émotionnel : la peur, la fierté, l’amour, la haine, et c’est ça que j’aime traiter. Je n’ai pas envie de parler de parler politique, d’autant que tout revient au même. Et toutes les chansons, toutes les pièces de théâtre sont basées sur l’émotionnel. Je fais des textes "indirects", au second degré. Pour moi ce sont les mots simples que j’emploie qui permettent de faire un "voyage dans la tête" à ceux qui les écoutent. »

- « C’est très vrai. Une locution comme "je t’aime" peut-être perçue… »
- « D’un tas de manières différentes en effet. Tout dépend de sa culture, de son environnement, de son éducation, etc… Tout dépend ce qu’il aura vécu à travers ce "je t’aime".»

- « Le travail de production est-il susceptible de t’intéresser ? »
- « Bien sûr que cela m’intéresse ! Je l’ai déjà fait pour Barbara, j’ai fait une chanson pour Nicoletta, récemment pour Marie-Paule Belle, mais maintenant je vais produire dans le plein sens du terme pour un type que j’ai rencontré en Belgique (1) : un génie ! »

-----
Note du site :
(1) Didier Odieu