L’Humanité N° 13450
18 novembre 1987
-Spectacle au Grand Rex, 18 au 24 novembre 1987-

William Sheller au Grand Rex à partir de ce soir
Tintin chez Louis II

(par Philippe Meunier)

 

M. William bivouaque pour une semaine dans un Grand Rex à la façade ravalée. A l’intérieur, le décor a de quoi surprendre. Une pelouse de plastique interpelle violemment les prunelles. Des fleurs de la même matière sont plantées dans un espace imaginé par le peintre et illustrateur de BD, forcément mélomane, Philippe Druillet. Et pour faire encore plus toc-péplum, quelques colonnes néoclassiques moulées à la Ricardo Bofill ont atterri sur la scène.
Sheller, qui n’a pourtant pas été un agent de change, n’arrête pas de spéculer… sur l’imagination. Jusqu’à en devenir impayable. Il est, de son propre aveu, complètement « symphoman ». La musique, il le sait bien, ne se réinvente pas chaque décennie. Comme il est toujours de bonne composition, cet homme-là s’acharne à répéter que les bonnes mélodies plongent leurs racines dans le même terrain. Né à Paris, de l’union d’un contrebassiste américain et d’une passionnée de jazz (en juillet 1946), le bambin se retrouve trois ans plus tard dans l’Ohio, histoire de brouiller les pistes. A cette époque, Harry Bellafonte joue toujours le même rôle sur les écrans de l’Amérique puritaine : celui du Noir.
Les oreilles du petit William swinguent d’impatience. De retour au pays de la baguette de pain, il étudie le piano, pour fuguer sans fausses notes. En 1975, il étonne son monde avec son Rock’n’dollars, en pleine vague baba-cool. Depuis, ce Tintin qui semble échappé d’un château de Louis II de Bavière plane au-dessus de la mêlée. Il n’est pas encore à son zénith mais préfère se rapprocher de la salle Gaveau, grâce à la variété de ses attaques orchestrales.
Comment ne pas aimer la qualité de son écriture pianistique et instrumentale (cuivres et cordes) ; son originalité discrète et, surtout son raffinement constant ? Il s’amuse sur scène. Avec une bande de violoneux qui s’allongent nonchalamment sur la pelouse. Seize musiciens (au sens vrai du mot), dont le fameux quatuor Halvenalf, peignent à neuf les contours de son Nouveau Monde qui bannit la monotonie. Il faut voir Sheller pirouetter sur le plateau; le déguster aussi à l’heure du petit-déjeuner pour repartir d’un bon pied (1).
Il chante comme un compositeur, c’est-à-dire avec une voix savamment désarticulée, des complaintes au lyrisme convaincant. La verdeur des timbres fait qu’au lieu d’entendre un « tube », on n’en finit pas d’explorer un univers entier. William Sheller nous raccommode avec toutes les époques. Il nous entraîne à Guernesey, sur les traces du vieil Hugo en exil, avec la complicité de Lavilliers, et puis il essuie Les miroirs dans la boue, quand « Dieu fait des images avec les nuages ».
Ce type a « rêvé d’un iroquois qui dansait sans vertige sous la lune » (Encore une heure, encore une fois), c’est dire combien il déteste les carcans. Il traque les pharmacies de garde quand il a « le cœur en guenilles » (Darjeeling) ; bref, c’est quelqu’un « qui joue pas mal de rock’n’roll » (Basket-ball). Inclassable, irréfutable, inconsolable, inconfortable, bref, Sheller est aujourd’hui incontournable.   

(1) Avec Univers (Philips), William Sheller est Disque d’or, pour la première fois.