Le Quotidien de Paris N°3249
30 avril 1990

La variet'de la semaine
Frère Sheller à l'abbaye des Congrès
(par Aurélien Ferenczi)




William Sheller s’installe mercredi au Palais des Congrès. Alternative simple : de deux choses l’une, avec sa musique futuro-médiévale, soit le nouveau Monsieur Hire -rapport à la coupe de cheveux- de la chanson française choisissait de jouer dans une abbaye cistercienne, soit il optait pour un beau navire high tech tout confort. On y entendra donc les accords complexes, entre baroque, néo-classique et rock, de son dernier album, Ailleurs, dont le titre-phare Excalibur vient d’être « clippé » par Philippe Druillet (avec qui Sheller s’apprête à écrire un opéra). Et, comme on dirait dans une chanson de Sheller, oncques n’a jamais ouï mélopées plus singulières, cestuy troubadour, messires, n’eut point déparé quelque orchestre céleste…
Sheller, en effet, poursuit son petit bonhomme de chemin, chemin de traverse, route solitaire, ou plutôt dans le continuum espace-temps qui mène le chanteur dans d’autres mondes, à d’autres époques. Musiques de voyages : dans le Japon médiéval, la cour du Roi-Soleil (Sheller sans perruque), la Russie de Tchekhov. A chaque disque, la musique de Sheller devient plus complexe, plus riche, plus déroutante aussi. Hors modes, hors normes, comme un gigantesque caprice -dûment réfléchi- qui, paradoxe, suscite le respect. Honnêtement, on s’arrête de plus en plus là à une estime, une admiration réelles, mais, aussi, à une difficulté de plus en plus grande à glisser le CD dans son lecteur, musique trop riche, trop particulière, trop ample pour ce qu’on demande, généralement, à des variétés (mais peut-être c’est autre chose, qui demanderait une autre analyse, plus musicologue). Ce qui n’empêche pas de garder Sheller dans nos cœurs, et de réécouter la plupart de ses disques, c’est-à-dire tout sauf le dernier (mettons de côté Un archet sur mes veines, petite perle, et tout le disque aurait dû ressembler à ça).