Le Monde N°14105
3 juin 1990

William Sheller l'alchimiste
(par Jean-Louis André)



Le chanteur était récemment au Palais des Congrès. On l'entendra samedi sur France-Culture. Auparavant, on le verra sur M6 pendant le tournage du clip réalisé pour la sortie de son dernier album.


Certes, il n'est pas le premier, mais quand même : rares sont les chanteurs qui réussissent à faire admettre à leur maison de disques qu'un clip peut être plus qu'un simple instrument de promotion : un véritable film, raconté en quelques plans et sans paroles. Excalibur, c'est à l'origine une chanson plutôt curieuse, comme tout l'album Ailleurs,de William Sheller.

Dans un décor médiéval, un fils s'adresse à son père, rentré de bataille. On soupçonne des années de tyrannie, des cathédrales bâties avec le sang des hommes, et, peut-être, la fiancée du jeune homme sacrifiée à l'autorité paternelle. Trompettes et chœurs couvrent parfois les paroles de ce péplum moyenâgeux. On devine, on imagine plus qu'on ne comprend.

Un paradis pour un faiseur d'images. Sheller s'est adressé à Druillet, un vieux copain des années baba-cool avec lequel il s'était juré de travailler un jour. Deux mois de travail, un livret griffonné par l'homme qui a fondé Métal hurlant en 1974. Druillet affectionne ce Moyen-Age campé quelque part dans les années futures : il a déjà signé, pour Jean-Jacques Annaud, les affiches du Nom de la rose et de La Guerre du feu.

Il a imaginé ici un ballet très hiératique, hommage appuyé et délibéré au cinéma d'Eisenstein. Dans un décor d'ombre et de lumière, les personnages sont couverts de bracelets, rehaussés d'épaulettes et à moitié dissimulés par des œilletons d'un autre monde : celui de «l'heroic fantasy».

Maquillages sophistiqués, effets spéciaux, images en trois dimensions et dessins par ordinateur : l'entreprise, peu commune, méritait d'être filmée. Robert Chalut et Jean-Claude Ducouret, son «chef op», ont donc cosigné ce making off du clip, qui retrace les grandes étapes du tournage, dans un studio de Bry-sur-Marne. Sur les photos de son album, Sheller joue les créatures bizarres, crâne rasé, complet trop grand pour lui, photographié hors du temps et des lieux par Bettina Rheims.

Les cheveux n'ont toujours pas repoussé ici, mais on perçoit mieux l'humour de la démarche. «J'aime bien m'amuser avec ma bobine, explique-t-il. Montrer simplement le visage du chanteur ne m'intéresse pas. Je préfère faire des anti-photos.» De la distance, Sheller n'en manque pas tout au long du film. On le voit couvert du plâtre qui va servir au moulage des masques, puis suant et mal à l'aise dans des armures de mousse de vinyle. Il n'est pas toujours à son avantage, mais il sait en jouer. Le contraste avec Druillet, sérieux comme un pape lorsqu'il lève le voile sur les arcanes de sa création, n'en est que plus surprenant.

Au total, on perçoit assez bien les difficultés rencontrées pour réaliser cet «opéra de six minutes», comme le disent les auteurs eux-mêmes. Le terme n'est assurément pas employé au hasard, puisque Sheller est de ceux qui, à la suite des Ferré, Bécaud, Manset ou Le Forestier, travaillent à réconcilier la musique classique et les variétés. Au Palais des Congrès, récemment, il passait accompagné par plus de soixante-dix musiciens.

Son dernier album laisse percer, ici des souvenirs d'une valse de Schubert, là un morceau de composition japonaise. Il y a des interludes et des fragments de concerto. De temps en temps, l'orchestre se lance tout seul. La voix du chanteur passe, presque par hasard, tout juste murmurée. Elle raconte des petites histoires elliptiques, plutôt nostalgiques: «A l'autre bout du monde, il n'y a rien, que le tonnerre qui gronde sur de longs chemins. A l'autre bout du monde, on se retourne on s'en revient. On sait qu'on n'ira pas plus loin qu'on n'y peut rien...» Du Souchon version métaphysique.

Ce brassage des musiques, Sheller le pratique depuis tout petit : il est né dedans. Sa mère était française, mais son père, contrebassiste de jazz, était américain. Enfant, il a vécu dans l'Ohio, puis à Paris. Après son premier succès, My year is a day enregistré avec «les Irrésistibles», un groupe américain vivant chez nous, il a eu tout le temps pour travailler, plutôt dans l'ombre, et chercher la formule secrète de l'équilibre: il ne fait son premier Olympia qu'en 1982. Entre-temps, il bouscule allègrement les barrières, compose des musiques de films et orchestre l'album de Barbara La Louve.

Pour le mariage de deux amis, il prépare une messe, Lux Aeterna devenue plus tard une symphonie pour chœur, orchestre et groupe de rock. Au passage, il rencontre évidemment Catherine Lara, qui joue sur le même créneau, et lui dédie un concerto pour violons, baptisé Le Violinaire français, un parcours plutôt sympathique qui finit par l'imposer : réussir à convaincre Phonogram d'investir sur Excalibur en est la preuve.

Autour de Sheller et Druillet : M6, jeudi 7 juin, 22 h 50;
France Culture : Opus, samedi 9 juin, 22 h 35.