Madame Figaro
(supplément du Figaro N°14684)
8 novembre 1991

Chanson
William Sheller
Un homme heureux !

(par Laetitia Cénac)


Son dernier album s’est vendu à plus de 200 000 unités. Ce chanteur qui a su marier à merveille classique et variétés est, seul avec son piano, sur la scène de l’Olympia, du 13 au 16 novembre.

« Je suis un ornithorynque dans la chanson ». J’ouvre des yeux ronds. Pas mécontent de son petit effet, William Sheller s’explique : « Un ornithorynque est un animal bizarre. A l’avant c’est un canard, à l’arrière c’est un castor. Quant aux pattes, elles sont palmées. » La métaphore est jolie. Le chanteur entend par là qu’il n’aime pas les étiquettes. Il n’est ni jazzy, ni funky, ni punky, ni rocky… Il est Sheller. Point à la ligne. Celui qui réconcilie la musique classique et les variétés, dont le tube Un homme heureux est sur toutes les lèvres, qui pulvérise les ventes (double disque d’or) avec son dernier album Sheller en solitaire. Dans son salon mi-cossu mi-cartoon du XVIe  arrondissement, il  parle de tout, de n’importe quoi, du bruit des travaux dans la rue, de l’intérêt du sucre de synthèse, bref des choses matérielles. Comme pour mieux se cacher.

Car l’homme vit de musique, son piano est son fidèle compagnon. Petite confidence à voix feutrée : « J’étais programmé ». Façon de parler de son héritage : un père américain contrebassiste, une mère française folle de jazz, un grand-père décorateur à l’Opéra de Paris, une grand-mère ouvreuse au théâtre des Champs-Elysées. A huit ans, il connaît tout le répertoire classique, à onze il proclame qu’il sera compositeur. S’ensuivent de sérieuses études au Conservatoire où il apprend piano, fugue et harmonie. « J’étais dressé comme un cheval de concours pour le prix de Rome. Seulement, crac, à quinze ans j’ai découvert les Beatles ». Première fausse note : il abandonne la musique intello pour les variétés. Il écrit des chansons rock, une messe psychédélique, quelques musiques de films. Les seventies pointent le nez. « Barbara m’a appelé pour faire l’orchestration de son album, La Louve. Elle m’a dit : "Tu devrais prendre ton piano et chanter".» C’est le déclic. Avec comme marraine la grande dame en noir, William Sheller enregistre son premier disque Rock’n’dollars. Souvenez-vous : « S’il vous plaît, madame, donnez-moi… » Cette histoire de ketchup et de hamburger le propulse aux cimes du hit-parade. Lui qui pensait naïvement s’en moquer. Sur un malentendu, il amorce une carrière très show-biz. L’artiste est devenu une idole. Il a un look, des fans. « Et puis un jour, je me suis dit : "C’est pas ça ! Où sont passés mes rêves de gosse ?"»

Amoureux de Mozart et de Stravinski, mais aussi de Trenet, de Gainsbourg, de Ferré, il se remet à la musique. Il fait du rock avec des violoncelles, un opéra avec des punks. Se fait accompagner ici d’un quatuor à cordes, là de soixante-dix musiciens. Aujourd’hui, nouvelle césure. Sheller se promène en solo : « Etre seul au piano, c’est la liberté, la possibilité d’improviser, d’essayer de nouvelles chansons. C’est le bonheur d’avoir une espèce d’intimité avec le public. Ça n’est plus un récital, ni vraiment un concert, c’est presque une soirée passée ensemble, entre amis. En fait, ça se rapproche de la veillée. » Comme par cette nuit de grâce de décembre, l’année dernière, il sera à l’Olympia du 13 au 16 novembre. Seul en scène avec son piano noir. Monsieur William a raison : il est l’ornithorynque de la chanson française.