Voici N°209
9 au 17 novembre 1991

William Sheller
Chanteur-compositeur célèbre et secret, il nous a reçu chez lui
«J'aurais pu être un personnage de B.D»
(par Marie-Noëlle Demay)



On l’entend beaucoup mais on le connaît peu. Chanteur à part, Sheller fait partie des personnages inclassables. Ce n’est pas pour rien que certains l’ont surnommé « Tintin au pays des variet’s » !

Chez lui, c’est Bugs Bunny qui vous accueille. Lunettes noires et grandes oreilles : « Au lieu d’une Joconde, je me suis payé un lapin ! » Sur une corniche, neuf vaches miniatures matent les visiteurs. Sheller aime l’absurde. Genre surréaliste. Celui des mots qu’on colle ensemble pour en faire des images, celui des situations aussi : « Je n’arrive pas à voir les choses totalement en noir ».
Quelque part entre Tintin et Eluard, Sheller a coincé sa bulle. Semelles de rêve aux pieds, il compose, tranquille, des mélodies lyriques, baroques ou loufoques. Mais seulement quand il y a urgence. Sheller est un peu fainéant : « Il faut que je me mette un coup de pied aux fesses pour sortir de chez moi. J’ai trouvé un bon truc : je fais mes courses par Minitel, on me les livre. Pas besoin de sortir ! » Dépassé le paillasson, il y a un problème, Sheller ne conduit pas : « Je suis un "chauffé" », sourit-il, amusé. Ce n’est pas qu’il déteste la voiture, non, mais c’est comme ça. « Si j’avais à conduire, je choisirais plutôt un avion. » Pour voir, de haut, La terre bleue comme une orange ?

Entre deux accords, William bricole

« J’aurais pu être un personnage de B.D », convient-il. A force d’être comparé à Tintin, il a fini par accepter, bon gré, mal gré, le cliché. S’il existait, l’album des Aventures de Sheller raconterait l’histoire d’un petit garçon, né d’un père américain contrebassiste de jazz, et d’une mère française folle d’opéra et de ballet, convaincu qu’il allait être musicien. Extrêmement discret sur sa vie privée (le gaillard n’est pas bavard), sa passion des mots et des notes semble être partagée par ses enfants : « Ma fille de 20 ans tape toute la journée sur son ordinateur. Je ne sais pas quoi, mais elle tape ! Mon fils de 19 ans, lui, travaille la musique. Je lui apprends. »
Entre deux accords, Sheller s’immerge dans le réel. « Je visse, je cloue, je peins, je bricole beaucoup. Si on ne se tape plus sur les doigts, il n’y a plus de contact avec la réalité, donc avec les autres… »  
Faux triste : « J’aime rire, faire rire » ; faux maigre : « A 18 ans, je pesais 92 kg pour1,72 m : je suis condamné au régime à perpétuité ! » William Sheller ne triche pas avec l’émotion. Le phénoménal succès d’Un homme heureux (Phonogram), texte épuré accompagné au piano, le laisse encore tout pantois. « Peut-être parce que tout le monde connaît cela : on aime tous, on déteste tous, on a tous peur. » Des sentiments éprouvés de 7 à 77 ans.