Un nouvel album, Albion,
enregistré en Angleterre, une symphonie,
L'Alternative,
jouée
en mars à Pleyel :
William Sheller est de retour.
On l’avait laissé solitaire, arrimé à son piano, sobre
et solo, mais voici Sheller, cet «homme heureux», donc pas ordinaire,
qui s’en revient d’Angleterre avec un album, Albion, et un
groupe de rockers. Albion, étymologiquement et émotionnellement,
s’affirme comme son disque blanc. Il l’a enregistré «live»,
avec des références aux sixties, des bidouillages, des bruitages
et des bandes magnétiques lues à l’envers. Albion ou l’incitation au voyage dans la poésie et l’absurde, l’odyssée
de Little Nemo dans la galaxie Beatles, Alice au pays de Jimi Hendrix. C’est
du rock abstrait qui traite avec les éléments, les astres, la gravitation.
Dans un salon british, habité par un piano noir, aux murs tendus de
tapis Milou, d’affiches de Druillet, William Sheller, pieds nus, allume
cigarette sur cigarette. Il est debout depuis l’aube, rivé à
son ordinateur, réglant les dernières notes de sa symphonie L’Alternative,
qui sera donnée les 24 et 27 mars à Pleyel.
-William Sheller :
«Je n’ai pas décidé d’être rock tout à
trac. D’ailleurs, je ne me suis pas percé l’oreille ni acheté
un tee-shirt de Grateful Dead [sourire]. Pourtant, c’est bien
à cause du rock que j’ai quitté mes études hyperclassiques
de musique contemporaine. Le rock, j’ai grandi dedans à l’époque
où il représentait encore un développement de l’esprit.
Aujourd’hui, il est devenu plus sérieux, plus sombre, plus désabusé.»
- L’Express : «Vous revenez
à la sainte trilogie guitare-basse-batterie ?»
- William Sheller : «J’avais envie de former un groupe,
d’évoluer avec des musiciens qui me suivraient en tournée [à l’Olympia, au mois de novembre] sans jouer les anciens
combattants, les démagos, les râleurs ou les donneurs de leçons.
J’ai écrit mes textes au mixage, comme toujours. Avoir passé
plusieurs mois dans la campagne anglaise m’a sans doute inspiré un
rêve d’ailleurs, un monde teinté d’irrationnel, où
tout flotterait dans les airs».
- L’Express :
«Le titre Les Enfants sauvages évoque "la main
des marchands qui lancent du mauvais sable"…»
- William Sheller : «C’est le seul morceau "social"
de l’album. J’ai regardé pousser mes enfants, qui ont maintenant
plus de 20 ans. J’ai observé leurs copains -J’ai une vocation
d’ethnologue, vous savez- et je crois que les jeunes sont très turbulents,
parce qu’ils se sentent rejetés par ces soixante-huitards qui ont
brisé les règles sans les remplacer. Et qui squeezent toute velléité
de création».
En mai 68, William Sheller a 22 ans, et un
tube, My year is a day, pour premier bilan. On le traque de musiques
de films en hit-parades (Rock’n’dollars, Dans un vieux
rock’n’roll). On l’attend à l’Opéra,
il compose pour Nicoletta, donne des concerts avec le quatuor à cordes
Halvenalf et des cours au conservatoire de Bourgoin-Jallieu. Sheller se définit
au carrefour des esthétiques, des langues, des cultures (père jazzman
américain, mère française). Il affirme appartenir à
la génération des vieux Peter Pan, cite ses incontournables Mickey,
Shakespeare, le Coca, Laurel et Hardy. Reconnaît devoir à son grand-père,
compagnon charpentier dans la Navale, et à sa grand-mère, ouvreuse
au Théâtre des Champs-Elysées, l’amour de l’art,
des cintres, des planches et des rideaux.
-
L’Express : «On dirait que vous courez toujours après
vos rêves de gosse ! »
- William Sheller :
«Je fais en sorte de ne pas les perdre de vue. Donc je change de secteur
comme on change de terrain d’aventures. Je pratique plusieurs langages
véhiculés par des instruments différents. En multipliant
mes centres d’intérêt, je garde finalement les meilleures années
devant moi. Un peu à la façon de Picasso ou de Cocteau, sans oser
me comparer à eux».
- L’Express : «Votre
existence a-t-elle changé depuis Un homme heureux ?»
- William Sheller : «Retirez les victoires, les interviews,
les passages à la télé, je redeviens un M. Tout-le-monde
qui évolue dans les mêmes ambiances, les mêmes incertitudes
que son voisin, et le raconte simplement dans ses chansons. C’est peut-être
pour cette raison qu’il y a eu cette rencontre particulière avec
le public.»
- L’Express : «Sheller
ne vibre-t-il pas que pour la musique ?»
- William Sheller : «J’y suis assujetti comme les marins
à la mer. La vie tourne autour.» 