Jazzman N°1
mars 1995

Jazz fan
William Sheller
(par Frédéric Taddeï)



Old time
« Le jazz, c’est quelque chose de très curieux pour moi, j’ai un drôle de rapport avec cette musique. Pour moi, le mot jazz fut longtemps synonyme du : "Assieds-toi, bouge plus !" dixit papa. Ben oui, parce qu’un gamin qui joue quand il y a des musiciens dans une maison, c’est casse-pieds. Et, mon père qui est contrebassiste, jouait avec Kenny Clarke, Oscar Peterson, Dizzy Gillespie. Et moi, je n’en avais rien à faire. J’avais cinq ans et je voyais arriver tout ce monde à la maison en me disant : "Merde, il va falloir que je m’assoie dans un coin sans bouger ! ". Il paraît qu’à l’époque, je pouvais chanter tous les solos de Charlie Parker.
Le jazz, c’est aussi un changement de mentalité… Parce qu’être gosse aux Etats-Unis, à la fin des années 40, cela voulait dire vivre avec l’apartheid au quotidien. Or mon père avait comme copain d’enfance Kenny Clarke. Il y avait une relation humaine qui s’établissait avec ces fameux blacks, qui dans le bus devaient se coller à l’arrière. Le môme que j’étais ne comprenais pas très bien ce qui se passait. Le fait que mon père invite des musiciens noirs à la maison me faisait bougrement réfléchir à la mentalité des gens de ce pays. »

New time
« Aujourd’hui, j’ingurgite Charlie Parker et la musique des années 50 plus facilement… Mais le jazz a commencé à me prendre vraiment aux tripes avec Miles Davis, période Bitches Brew. En fait, j’ai commencé à aimer le jazz quand mon père trouvait ça trop moderne... Eternelles querelles de chapelles…J’aimais bien Weather Report, Magma…Maintenant, j’essaie d’en glisser dans mes concerts. Sur scène, je joue Un homme heureux en duo avec Laurent Blondiau, un joueur de bugle belge.
Ce qui est marrant, c’est qu’on m’a commandé une musique pour un film qui retrace l’histoire d’un cabaret allemand de 1931 à 1948. Je me suis farci des tas de trucs : des opérettes allemandes, du pseudo-jazz 1930 avec un swing un peu "biscotte", l’arrivée des Américains avec les fameux V-Discs… Et pour la première fois, je me suis payé une orchestration à la Glenn Miller. Un truc genre Andrews Sisters. J’ai envoyé la bande à mon père pour qu’il se marre. »