Le Figaro
16 février 2000

Les petites musiques de William Sheller
(par Annie Grandjanin)



Aussi discret que talentueux, William Sheller ne nous avait pas offert de nouvel album depuis
Albion. Six ans d'une attente récompensée puisque, avec Les Machines absurdes, le pianiste solitaire d’Un homme heureux signe un petit bijou. Dix chansons douces-amères magnifiquement soutenues par des cordes, des cuivres et des machines électroniques.


- «On murmure que cet album serait le dernier ? »

- «Je l'ai peut-être dit, mais dans un mouvement d'humeur. C'est de la mauvaise foi.»

- «On vous perçoit comme quelqu'un de mélancolique. Pourtant, dans La vilaine maison, il y a une certaine gaîté ?»
- «C'est un clin d'œil à Trénet et aux Beatles. Le thème m'est venu sous la douche, en sifflotant. J'ai souffert du traumatisme de la casserole aux fesses de Rock'n'dollars lorsqu'on attendait que je revienne en rigolo avec de gros pantalons. Dès que j'avais un petit truc marrant, j'évitais de le mettre dans un album. Du coup, j'ai cultivé un peu l'aspect mélancolique.»

- «Parlez-nous de l'Olympia ?»
- «Nous serons vingt-et-un sur scène avec des instruments mi-classiques, mi-électriques. Les musiciens ne seront pas assis derrière des pupitres, mais ont consenti à apprendre tout le spectacle par cœur pour pouvoir se déplacer et créer une petite mise en scène. Je déteste le côté coincé et cérémonieux.»

- «Vous n'aimez pas les puristes qui se prennent au sérieux ?»
- «La musique n'est que de la musique. Ceux qui se sont préservés de tout contact avec la variété en n'éditant que Ravel ou Debussy ont aujourd'hui les oreilles qui tombent. Car ce n'est pas avec Xenakis ou Stockhausen qu'ils vont faire tourner la boutique.»

- «Vous-même avez commencé la musique assez tard ?»
- «Je me suis mis au piano à 12 ans, parce qu'il me fallait un instrument pour travailler. A l'époque, j'ai du choisir entre la musique et le bac.»

- «Vos parents étaient d'accord ?»
- «Mon grand-père faisait des décors à l'Opéra et au Théâtre des Champs-Elysées, mon père jouait du jazz. Je suis d'une famille d'artistes qui m'a toujours défendu. Quand on leur disait: "Il va finir en tapant du piano dans une chambre de bonne !", ils répondaient que l'important était que je sois heureux.»

- «Vous avez toujours des difficultés pour écrire ?»
- «Je ne suis pas auteur. Je me mets sur les textes quand la musique est terminée. Et, comme si ce n'était pas assez compliqué, j'aime bien faire des rimes croisées, embrassées... Quand on écoute une chanson, on ne pense pas aux mots, on voit les images. Moi, par exemple, j'aime bien Colette parce que ça ne se lit pas, ça se vit.»

- «Quels sont vos projets ?»
- «Ne pas finir en buste dans un square avec de la fiente de pigeon sur la tête ! Ce qui m'intéresse, c'est l'humain. Lors d'un festival à Troyes, 600 choristes ont travaillé sur mes chansons. Quand j'ai entendu ça, je me suis dit que Berlioz n'en avait pas eu autant.  Je me souviens aussi d'un grand gaillard de 20 ans venu me dire qu'il s'appelait Nicolas grâce à ma chanson. Je me suis senti plus utile que si j'avais écrit une œuvre de 3 heures 30 dédiée au siècle futur.»