Télé 7 jours N°2111
11 au 17 novembre 2000

William Sheller l'insaisissable
(par Emmanuelle Touraine)



La solitude est sa compagne favorite. Ce qui ne l’empêche pas d’être heureux. Portrait d’un musicien, d’un père et grand-père comblé.

Selon la légende, ses parents le prénommèrent William, un jour de juillet 1946, à cause de sa tête de poire ! De ce fruit, William Sheller a hérité la blondeur. Et ses musiques en ont la chair : fondantes et douces, consistantes et de bon goût. On se délecte d’autant plus avec celles des Machines absurdes (Mercury) -son dernier album, sorti au début de l’année-, que le chanteur était resté muet pendant six ans. Orchestrateur de talent, il croit depuis toujours au mélange des sons. Les machines, utilisées avec sobriété, sont devenues les instruments de travail de ce symphoniste. « Pour ce disque, j’ai voulu des sons sensuels, comme on entend chez Portishead ou Massive Attack. »
Sheller est aujourd’hui un homme heureux. Il sort d’une période douloureuse  où il a du faire le deuil de sa mère et où il a connu des moments de doutes. « Avant qu’il ne devienne un plaisir, avoue-t-il, j’ai traîné ce disque comme un boulet. » Il avait songé à l’appeler Epilogue, comme le dernier de sa carrière. Demain, il voit bien le chanteur s’éclipser derrière le compositeur.
Sheller se définit d’abord comme un musicien qui chante. S’il a élevé la voix au début des années 70, c’est parce que Barbara l’y a encouragé alors qu’il arrangeait un de ses albums.
Elevé aux Etats-Unis par un père américain et une mère française, il est né dans un univers jazzy qui n’aura pourtant que peu d’influence sur sa carrière. Plus tard, à Paris, il arpente les coulisses de l’Opéra où travaille son grand-père décorateur. De là naîtront ses amours classiques. Adolescent, il rencontre son maître de musique, Yves Margat, ancien élève de Gabriel Fauré. « Il m’a tout appris, reconnaît-il. Le piano, l’harmonie, la fugue, le contrepoint, l’orchestration… et même le latin, nécessaire, selon lui, pour composer. » Mais en 1966, un vent nouveau souffle de Liverpool, au grand désespoir de son professeur. Les Beatles lui donnent le goût du rock. Comme un symbole, il lâche Hand, son patronyme, pour Sheller, contraction des poètes, Shelley et Schiller. L’auteur de Rock'n'dollars mettra quinze ans à faire accepter son image.

1992, année des récompenses
Sheller est insaisissable. Il écrit des concertos pour trompette, des quatuors à cordes, des génériques de films, des jingles de pub ou celui du JT de TF1, et même des chansons pour Nicoletta… Seul devant son piano, il triomphe en 1992, année des récompenses. Aux Victoires de la musique, Un homme heureux est sacré meilleure chanson, et Sheller en solitaire meilleur album. Mais la pop star en queue-de-pie cultive son aspect mélancolique. La solitude est, comme elle le fut pour Barbara, sa compagne favorite. A la fois ici et ailleurs, classique et moderne, Sheller est un électron libre. Ses angoisses sont celles d’un père. Il communique par e-mail avec Johanna, sa fille globe-trotteuse de 29 ans. Siegfried, son fils de 28 ans, qui l’a souvent accompagné en tournée, produit du hip-hop. Ce chef de clan, qui vit en célibataire et rêve de s’installer en Irlande, est aussi un heureux grand-père. « Je veux m’occuper de Yale, mon petit-fils de 2 ans. Je lui ai déjà acheté un petit piano. Il me rend gâteux au point de me mettre à quatre pattes sur la moquette ! » La musique se confond avec sa vie, dit l’homme à la tête de poire. Mais elle n’est pas toute sa vie.

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Note du site :
Cet article accompagne la diffusion le 17 novembre 2000 sur France3 de l'émission "Faut pas rêver" avec William Sheller pour invité.