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17 novembre 2001
- Concert au théâtre de Beausobre à Morges (Suisse), 16 novembre 2001-

Sheller ou la déprime mélodieuse
(par Bernard Léchot)


Avant Monthey, William Sheller était de passage vendredi à Morges. Seul à son piano, pour une mise à nu intime et nostalgique.


La dernière fois que William Sheller était venu en Suisse, c’était avec un orchestre d’une vingtaine de musiciens. Ensemble classique (cordes et vent) et rythmique rock. Escales helvétiques d’une longue tournée qui avait culminé en novembre 2000 au Théâtre des Champs-Elysées, un double-album paru cette année en témoigne.
Changement de décor au Théâtre de Beausobre, à Morges. Cette fois-ci, le piano l’attend sur une scène nue. Le chanteur arrive alors, et s’explique. Pourquoi ce retour au concert en solo ? Parce qu’on lui demande souvent comment naît une chanson, et que « cela permet de voir à quoi ressemble une chanson avant qu’elle soit finie ». Alors, de Symphoman au Carnet à spirale en ultime rappel, l’auteur-compositeur va commenter ses œuvres. Avec beaucoup d’humour.

Noir et blanc

Nicolas ? Ce sont les souvenirs du petit William, que ses parents déposaient parfois chez une certaine Madame Yvonne où cela sentait fortement le poireau. Photos-souvenirs ? Il l’a composée « à la manière de ». De qui ? De Véronique Sanson, car il avait été intrigué par le phrasé de la dame. Oh ! J’cours tout seul serait une chanson née d’un cauchemar: « Je courais en pyjama sous la pluie à côté d’un train », raconte-t-il l’air détaché.
Et pourtant le cauchemar ne devait pas être drôle. Mais voilà, tout Sheller est là : triste et souriant, noir et blanc. Son piano est noir ? Son pantalon, sa chemise et ses baskets également. Mais ses chaussettes et son T-shirt sont blancs. Noir dehors, blanc dessous. L’exact contraire de son univers, lumineux en apparence - clarté de ses mélodies, brillance de ses harmonies et de ses contrepoints - et profondément sombre au-dedans. Un contraste qui ressort tout particulièrement dans ses concerts en solitaire.
Mais la dépression de Sheller, ce n’est pas la dépression à la Gainsbourg, éclatante et ravagée. Non, ce serait plutôt une espèce d’introspection délicate et consentie, un mal-être cultivé où défilent sa solitude, ses ruptures, ses revers, ses faux-espoirs. Son monde, pétri de nostalgie, se conjugue au passé, éventuellement au conditionnel les jours de grand soleil.

Refus du lyrisme et richesse musicale

Basket ball, Maman est folle, Un endroit pour vivre, Simplement, Les filles de l’aurore, Genève, Un homme heureux, Dans un vieux rock’n’roll ou Les machines absurdes, seule chanson récente… Le public est suspendu aux lèvres du chanteur, sans être nécessairement pris aux tripes : Sheller, c’est aussi l’anti-pathos. La voix sobre et haut-perchée joue la carte de la simplicité plutôt que celle du lyrisme.
On affirme souvent qu’une bonne chanson, c’est celle qui fonctionne même sans orchestration, simplement avec une guitare ou un piano. Cette tournée devrait donc être idéale pour juger, de façon brute, celles de Sheller.
Eh bien pas vraiment. Car une chanson de Sheller avec son seul piano, c’est déjà une chanson orchestrée. Tout ce qui sur disque, par le biais des arrangements, est devenu basse, guitare, violons, cuivres, est là, dans ses deux mains et ses 88 touches.
William Sheller, en début de spectacle, prétend nous dévoiler à quoi ressemble une chanson avant qu’elle soit finie… Il nous aura surtout démontré à quel point une chanson est complète, achevée, dès que ses doigts traduisent ce que rêve - ou ressasse - son cerveau.