Le Soir
3 novembre 2004

Le chanteur français publie Epures, un nouvel album en solo piano
Sheller, un homme heureux en solitaire
(par Thierry Coljon)



William Sheller sort, ce mercredi, son nouvel album. Intime, enregistré chez lui, en pleine forêt, au milieu des lézards, des mouches et des crapauds. Entretien.



Quatre ans après ses Machines absurdes et la tournée qui s'était soldée par un double Live au théâtre des Champs-Elysées, William Sheller revient au piano solo. Ce qui nous ramène à son exil bruxellois des années 80, quand il se produisait seul au théâtre 140, avec Odieu en première partie. Epoque où il était en délicatesse avec sa firme de disques qui ne voulait pas d'un album pour quatuor, finalement publié sur le label bruxellois « Les Disques du crépuscule ». Et puis, tout s'était arrangé, et les années 90 s'étaient ouvertes sur Sheller en solitaire et Un homme heureux, avec le succès que l'on sait.
Aujourd'hui, le contexte est différent. Epures, c'est douze pièces piano- voix, le Sheller dans toute sa simplicité, comme on l'aime. Pour présenter ce disque, William est venu faire un show-case vendredi, à la RTBF, reprenant quelques pièces anciennes parmi les nouvelles. Un peu avant ce mini-concert, nous l'avons retrouvé dans sa loge.

- «  L'idée de revenir au piano solo est-elle née par nécessité ? »
- «  Non. Après avoir donné beaucoup de concerts avec grand orchestre, j'ai eu envie, au bout d'un moment, de quelque chose d'intime. Ce sont des morceaux faits spécialement pour le piano. Je les ai fait sur mon piano, chez moi, à la maison. Je connais bien les défauts de mon piano, ça me permet de planquer les miens dedans. Ça a un avantage... »

- « C'est une idée qui doit plaire à Universal, ça ne coûte pas cher. »
- «  Ah ! tiens, oui. C'est du pain béni pour eux. J'ai appelé Pascal (NDLR : Nègre, patron d'Universal France) pour lui demander : "Et moi, est-ce que je suis viré ?" Nan... Il n'avait pas envie de me lâcher. Moi, je n'ai affaire qu'à lui. Je n'ai besoin de personne pour me dire comment faire un disque. Donc, je fais ma petite tambouille, puis j'appelle Pascal pour lui dire que j'ai quelque chose à lui faire écouter. Il dit que je suis comme les Jeux olympiques, je reviens tous les quatre ans. »

- « La tournée se fera en solo ? »
- «  Pas du tout. Je reprends tous mes musiciens belges. On va se retrouver pour réarranger tout ça. On va passer une quinzaine de jours à Bruxelles pour répéter. Ce sont mes marques. C'est devenu une famille. Je ne trouve pas ça ailleurs. Ils me connaissent par cœur, ainsi que le répertoire. Il a fallu surmonter la perte de Jean-Pierre Catoul, qui était le plus ancien, qui avait commencé en quatuor avec moi. Ça a fait un choc. Puis, j'ai rencontré Nicolas (NDLR : Stevens), qui a donné une autre dynamique. »

- « Epures est un disque très automnal, il est beaucoup question de solitude, de pluie... »
- « Je suis un grand solitaire. C'était un des grands sujets de discussion avec Barbara. Et puis, j'ai quitté Paris il y a trois ans, je me suis installé dans la forêt. Je suis bien, là, je vis avec les animaux, avec les lézards, les crapauds qui entrent dans la maison. Je vis à un autre rythme. Avec les gens du village, qui ne sont pas énervés en permanence... En même temps, je ne suis pas loin de Paris. »

- «  Le disque a donc été entièrement réalisé à la maison ? »
- «  Oui, avec Yves Jaget, le malheureux qui se débrouille avec ses pauvres gosses de la Star Ac’. Il fait tous mes enregistrements depuis pas mal d'années. Ça le change un peu de venir à la maison prendre un piano et une voix, de placer les micros. On a enregistré dans la pièce où je travaille. Ce n'est pas un studio insonorisé. De temps en temps, j'étais obligé d'arrêter parce qu'il y avait une mouche qui se promenait ou les canards dans l'étang d'à côté qui gueulaient. Il a fallu faire des montages en retirant tout ça. Je voulais peu de mots et peu de notes aussi. Mais qu'à travers ça on puisse plonger dans les histoires. Ça agrandit le paysage. »

- « Ce n'est pas la première fois que les cordes disparaissent. On se souvient d'Albion et de ses guitares cinglantes... »
- «  Il n'y a rien de pire que la routine, sinon on devient la caricature de soi-même. Lorsque j'ai été voir les Anglais pour faire Albion ici, ils avaient les cheveux qui se dressaient sur la tête. Mais c'était urgent, j'avais besoin de ça pour continuer. Il n'y a rien de plus castrateur que toutes ces médailles, ces mérites, ces machins de chevalier qu'on me donnait. Je n'ai pas fait ce métier pour avoir un buste en bronze dans un square avec les pigeons qui me chient sur la tête. Il faut que la musique vive. Sinon, j'aurais passé le prix de Rome et j'aurais fait de la musique contemporaine. Moi, j'aime la chanson. Je passe d'un format à l'autre. »

- «  C'est vrai qu'aujourd'hui, lorsqu'on a besoin de cordes, on ne fait plus appel systématiquement à Sheller : il y a Benjamin Biolay, notamment... »
- «  Oui, puis tous les autres, comme Vincent Delerm, qui prouvent que les gens s'intéressent encore à la chanson. Et puis, il y a Arno, qui me déchire le cœur. Ça me bouleverse tellement c'est humain. Il a réussi ce qu'Odieu a raté. Odieu est un génie, mais il lui faut des moyens, une production... Il m'a fait écouter des choses sublimes. C'est malheureux... Il m'a envoyé une chanson qui s'appelait Ma rue, mais je ne pouvais pas la prendre : je venais d'écrire Mon hôtel.

- « Trois pièces de l'album sont instrumentales... »
- « Oui, mais ce ne sont pas des morceaux sur lesquels je n'ai pas pu mettre de textes. Parmi les gens qui me suivent, il y en a pas mal qui jouent du piano eux-mêmes. Ils aiment bien avoir de temps un temps un petit morceau pas trop difficile à jouer. C'est facile sans être dégradant. Ça arrive souvent qu'après le concert on vienne me faire signer non pas un CD mais une partition. C'est comme cette vogue des chorales qu'a révélée le film « Les choristes »... Ça fait plaisir... Il y a même un festival à Troyes, "Les nuits de Champagne", où ils m'ont demandé de mettre mon répertoire au service d'une chorale, une vingtaine de chansons reprises par 600 choristes. C'était monstrueux, très impressionnant. Berlioz n'en avait pas la moitié pour son Requiem... »  

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-Album :  Epures (Mercury-Universal).
-William Sheller sera le 14 mars au Cirque royal, le 15 au palais des Beaux-Arts de Charleroi et le 16 au Forum de Liège.