Le Figaro
25 janvier 2005

Quelques mois après la sortie du sobre album Epures, il repart en tournée avec une vingtaine de musiciens
William Sheller, "une vie de musicien"
(par Bertrand Dicale)



On a souvent entendu des artistes mentir. Ils cassent la tirelire pour s'offrir un vaste orchestre en studio et partent en tournée seuls avec leur piano. "Tu comprends, j'ai voulu retrouver une relation intime avec mon public". Hélas, c'est la loi économique du business de la chanson : albums fastueux, concerts étroits.
William Sheller fait tout l'inverse : à l'automne, il a sorti Epures (chez Universal), album magnifique le présentant seul au piano, et le voici maintenant en tournée avec une vingtaine de musiciens. Epures est un vrai succès, a décroché le disque d'or (plus de 100 000 exemplaires) sans lourde promotion, sur la seule beauté du dialogue d'une voix avec le piano, sur la diaphane fragilité de chansons rêveuses et réalistes à la fois : des amoureux qui regardent par la fenêtre, une pluie qui tombe avec obstination, une solitude consentie…
En trente-trois minutes, Sheller condense tout son art de la chanson, de la mélancolie ample et proche à la fois, jusqu'au verbe soyeux et simple. Mais contrairement aux usages établis du show-business, il ne s'agit pas du programme de la tournée à venir : "Je n'ai pas fait un CD de rentrée, affirme-t-il, j'ai publié un enregistrement de chansons". La nuance est d'importance, et sans doute embarrassante pour la maison de disques. "La situation est délicate pour les gens de promotion et les gens de marketing. En même temps, ça les amuse de sortir de leur routine. De toute manière, je ne fais pas ma vie à partir du disque mais à partir de la scène".
L'année dernière, donc, il a créé une symphonie en trois mouvements au festival classique de Sully-sur-Loire, s'est produit avec orchestre au festival Un violon sur le sable -30 000 personnes sur la plage de Royan en juillet- "J'ai eu envie de sortir de ces dimensions. J'ai voulu un enregistrement avec peu de notes, peu de mots. Comme le carnet d'esquisses d'un peintre". Alors, quatre ans après Les Machines absurdes, dix ans après Albion -un rythme apaisé-, Epures est venu s'ajouter à la discographie de William Sheller.
Il a enregistré le disque chez lui, au milieu de la forêt, en Sologne. Oui, il a quitté Paris. "Quand je suis sur mon piano treize heures par jour, je ne sors pas de chez moi. Alors pourquoi pas à la campagne, pouvoir jouer du piano à 3 heures du matin, les fenêtres ouvertes ? Et, de voir moins de monde, on s'attache plus aux autres. A vivre en star dans les grands restaurants, les boîtes de nuit et les plateaux de télévision, on n'a rien d'autre à raconter que des histoires de grands restaurants, de boîtes de nuit et de plateaux de télévision".
L'année prochaine, il aura 60 ans. Sérénité, là encore : il a rompu avec les habitudes d'une star, avec les lois de la carrière. "Je m'en vais, je reviens. Quand je reviens, il y a des gens pour m'écouter, qui n'est pas un public de disque mais un public de théâtre, un public qui va au spectacle. Ce n'est pas une carrière, c'est une vie de musicien". Cette vie-là, c'est une escapade à Vienne -cafés, musées, jardins-, d'où il rapporte une poignée de quatuors à cordes, dont l'enregistrement a été publié au printemps dernier par le Quatuor Parisii. "Ma vie à côté des chansons. C'est moins médiatique mais ça vaut le coup d'être vécu". Depuis plusieurs années, il vit à la fois en chanteur et en musicien classique : "Il y a des gens de bonne volonté de part et d'autre, il y a des ponts mais on ne sait pas toujours ce qui se passe de l'autre côté. Ce n'est pas facile mais c'est bon à vivre".
Dans cette vie-là, Sheller a toujours envie de chansons. "Schubert en a écrit plein, des chansons. Simplement, elles sont chantées par des grosses dames habillées avec des rideaux". Sa vingtaine de musiciens classiques sur scène avec lui, "ce n'est pas un orchestre mais un grand groupe. Ils sont parfois assis quand quelque chose est un peu compliqué, mais ils se déplacent avec la musique, dans la liberté que l'on trouve avec un groupe. Ce serait terrible, qu'ils soient assis avec des nœuds papillons".


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Ce soir à Issy-les-Moulineaux, le 29 à Mulhouse, le 30 à Belfort, du 1er au 12 février à Paris aux Folies-Bergère, le 22 à Caen, le 23 à Rouen, le 24 à Vernouillet, le 26 à Lille, le 1er mars à Bourg-en-Bresse, le 2 à Lyon, le 3 à Grenoble…