L'Est républicain
2 mars 2005

La tournée de William
(par Jean-Paul Germonville)



Après un triomphe aux Folies-Bergère, Sheller retrouve la province avec ses dix-huit musiciens. Considérations sur trente ans de carrière.


- Jean-Paul Germonville : « Vous évoquez ironiquement sur scène l'état d'esprit que provoque la consécration par une Victoire. »
- William Sheller : « On se dit "qu'est-ce que je vais pouvoir écrire maintenant ?" On a l'impression d'être obligé d'aller vers plus sérieux. Ils m'ont même donné une Victoire pour la BO d'un film de Jean-François Amiguet que personne n'a jamais vu. Bizarre ! C'était la troisième. Le réalisateur avait demandé une musique de chambre qui soit proche de Schubert. Je l'ai écrite ! En fait, j'aime bien cette création. »
 
- « La télévision ne sert pas vraiment la musique. »
- « On m'avait invité dans un ministère à un colloque où tout le monde parle et qui, en définitif, ne sert pas à grand-chose. Le thème fixé était : "Peut-on encore créer aujourd'hui ?" Il aurait d'ailleurs mieux valu dire pour être juste : "Peut-on exploiter la création aujourd'hui ?" Il y a une demande pour avoir des choses en direct, des émissions façon Taratata. Quand on raconte des histoires dans un théâtre comme Les Folies-Bergère, il y a des lumières qui jouent, les sombres, les couleurs. Dès qu'on arrive sur un plateau de télé, crac les paillettes noient tout. Tout est illuminé, on n'a pas envie de jouer un personnage. C'est fait pour les gens qui chantent un tube et ceux qui sont contents d'écouter le tube du moment. Tout se limite à ça. Moi, j'ai envie d'une ambiance pour raconter, partager. »

- « Vous avez prévu un DVD de cette tournée ? »
- « Il faut trouver un lieu et prévenir les gens qu'ils vont être perturbés par le mouvement des caméras. Il faut une salle qui se prête à ce type d'enregistrement, une scène vaste... »

Atmosphère mélancolique

- « Quel est votre rapport à la notoriété ? »
- « Une horreur ! Quand je vois une affiche de moi dans la rue, j'ai l'impression que j'ai mis mes fesses à la fenêtre. La honte ! Je ne suscite pas d'émeutes comme... quand je suis dans la rue. Des gens viennent me dire : "J’aime bien ce que vous faites", c'est gentil. »

- « Et quand vous glissez vers le classique ! »
- « Les réactions sont tout aussi positives ! Lorsque j'ai sorti les Quatuors à cordes, il s'en est vendu 10.000. C'est énorme pour le genre. »
 
- « Les gens de ce milieu vous perçoivent comment ? »
- « Ils sont assez favorables associant ça à des choses comme Sati, Gerschwin... des créations un peu spéciales, périphériques. »

- « Côté chanson, vous avez l'impression d'appartenir à une famille ? »
- « Jonasz, Sanson... Je parlerai d'un cousinage avec Bénabar, il a des trucs qui me plaisent bien, chez M par exemple... même si lui est très rock, etc... etc... Il me fait penser à Prince avec son potentiel créatif très pointu. Il y a Arno avec ses textes qui déchirent, touchent le cœur, la poitrine. Là, quand on parle d'atmosphère mélancolique. Je veux absolument le voir sur scène. »

Les chansons sont des miroirs

- « Vous avez effectivement envie de composer pour Florent Pagny ? »
- « Bien sûr ! Il a une très belle voix. J'aimerais bien. Je suis en train de mijoter ça. J'ai écrit un peu pour d'autres : Catherine Lara, Marie-Paule Belle. »

- « Vos univers sont différents. »
- « Il a travaillé le chant classique durant pas mal de temps. Il ne s'agirait pas de lui faire un air d'opéra mais quelque chose qui cadre avec son timbre. Il ne faut pas s'emparer de grands classiques comme il vient de le faire. La critique ne l'a pas épargné. Ceci dit, la femme de Bernard Henri Levy s'attaque à Haendel et on ne lui dit rien. Je fais mien le compliment que Sacha Guitry a fait un jour à Mireille en disant : "Elle a la chance de ne pas être encombrée d'une grande voix". Si j'en avais eu une, j'aurais peut-être enquiquiné tout le monde à vouloir faire de grands airs plutôt que raconter. »
 
- « Toutes les petites histoires qui jalonnent votre récital ont existé ? »
- « Elles sont vraies. Par exemple quand j'explique comment telle ou telle chanson est née c'est parce que ce genre de questions revenait souvent. Quand je lis, "l'auteur a voulu dire que", je me bidonne. Chacun peut y met ses fantasmes. Les chansons sont des miroirs sur lesquels on projette ses propres images. »

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* William Sheller en concert au Zénith de Nancy le 9 mars.