Le Télégramme de Brest
28 mars 2005
-Concert au Quartz de Brest, 26 mars 2005-

L'univers à portée d'âme de William Sheller
(par Steven Le Roy)




C'est l'histoire d'une sensation particulière. L'histoire d'un fourmillement familier, d'une chair de poule attendue, d'une émotion éperdue et sincère. Pas comme les tiédasses que quelques bonimenteurs médiatiques voudraient vendre en poudre. L'histoire de ce bien-être a, en ce samedi soir lumineux, une origine parfaitement définie. Elle ne mesure pas haut, mais embaume comme une fleur de printemps au milieu de parfums fades. Elle s'appelle William Sheller.


Il n'en finit plus de tourner, les bras à l'horizontale, sur une jambe. Son orchestre joue encore plus fort les dernières mesures de Quand j'étais à vos genoux, les lumières ordinaires vont bientôt revenir sur la salle du Quartz, un peu blêmes, et William Sheller tourne. Voici plus de deux heures, il avait promis, en préambule, de nous « amener ». De nous donner le temps qu'il faut pour entrer dans son univers, de nous raconter ses histoires, comme il dit. Flottant dans sa chemise trop ample, légèrement gauche quand il quitte son piano et se met à chanter sans son aide, William Sheller a l'allure d'un Pierrot lunaire, avec sa coupe au bol rase, ses lunettes cerclées et sa petite voix douce qui égrène des mots. Ses mots.

Le musicien magique

Car, voyez-vous, il a été beaucoup dit sur le musicien, le mélodiste, le compositeur Sheller. Un as. Un prodige. Un savant génial capable de mélanger pop, rock, chanson et accords classiques en moins de trois minutes. Et elles sont d'ailleurs là les frontières mouvantes, émouvantes et infinies de l'univers Sheller. Dans cet orchestre prodigieux et impeccable où se mélangent « souffleux » incroyables, violons sublimes et grosses guitares, dans ce sax dingue sur Oh ! J'cours tout seul, dans cette audace d'incorporer un peu de basson sur la «chanson idiote de la semaine», Rock'n'dollars. Sans ça, sans cette emphase maîtrisée de notes, l'univers Sheller serait petit. Il est immense, bien entendu.

Comme une mélancolie sensible

Mais les vastes terrains du roi William ne sauraient sûrement pas se limiter à cette musique envoûtante, aussi magnifique fût-elle. L'autre magie vient naturellement, plus simplement, des petites saynètes apparemment légères que Sheller raconte sur les cascades symphoniques. Un monde habité par une mélancolie sensible où éclosent les fleurs sépia de souvenirs lointains, entrevus par le trou de la serrure, où l'on compte la boîte à gâteaux, la soupe aux poireaux d'Yvonne la bretonne ou Mme Butterfly, vu du haut de l'opéra. Un monde où les histoires d'amour finissent mal et brûlent l'intérieur de cet homme qui vouvoie ses amours déçues et cherche des antidotes.

Et il a arrêté de tourner

Un monde sentimental, violemment humain, qui appelle à la complexité sensible de chacun de nous. Un monde où poussent les rhododendrons, vivent les « carnets à spirale » et où « Maman est folle » (« Mais c'qui nous console, c'est qu'elle nous aime bien »). Un monde où Nicolas veut rentrer chez lui. Le monde de William Sheller que le public du Quartz, ébahi, sous le charme comme l'on dit, a sillonné pendant deux heures et demie, comme pendant une brève suspension du vol du temps. Juste avant que William Sheller s'arrête de tourner.