Le Figaro
14 novembre 2005

William Sheller : les premiers trente ans
(par Bertrand Dicale)



Le chanteur sort son intégrale avec succès populaires et musique savante, tout en retrouvant la scène avec un quatuor à cordes.


Sous le titre Chemin de traverse, l'objet est impressionnant : dix-neuf CD et un DVD pour trente ans de carrière. Dix albums en studio, quatre live, deux CD de musiques de film, les pièces classiques enregistrées par le Quatuor Parisii, les premiers disques enregistrés à l'orée des années 70... En même temps, paraissent un nouvel album et un DVD enregistrés en public l'année dernière (Parade au Cirque royal). Et ce soir William Sheller chante au Théâtre des Champs-Elysées.

Un artiste qui se multiplie, à la fois méticuleux et prolixe, patient et suractif. Ce n'est pas seulement sa blondeur qui le préserve de l'âge. "J'ai la voix qui ne vieillit pas, avoue-t-il. Je chante dans la même tonalité qu'au début, sauf peut-être une ou deux chansons. Mais parfois le compositeur fait des vacheries au chanteur et il faut bosser pour que ça passe."

En revoyant ses clips, tous présentés dans son intégrale, on survole une carrière populaire et commercialement heureuse (Un homme heureux, Mon Dieu que j'l'aime), on redécouvre la spectaculaire invention du film d'Excalibur, tourné par Philippe Druillet à la manière des chefs-d'œuvre muets d'Eisenstein. Mais aussi quelques vidéos des années 80, avec un William Sheller ressemblant à son époque, le genre des clips de Kim Karnes, en plus chic. "Le tout n'est pas d'être contre les formats, mais de les faire évoluer de l'intérieur. Il ne s'agit pas d'être un marginal, de tout rejeter, mais d'être là où est tout le monde en poussant un peu les murs. Doucement."

Album symphonique
Au commencement, il a tâtonné, évidemment. Un 45 tours en anglais (My Year is a Day, un succès), une poignée de titres écrits en collaboration avec Gérard Manset, des chansons dans l'air de ce temps-là. Et puis Lux Aeterna, messe futuriste avec groupe rock, musiciens de l'orchestre de l'Opéra de Paris, chœurs de l'ORTF et synthétiseur. "Une tambouille. Ecrit à 21 ans, à une époque où on n'avait pas encore l'expérience de mélanger l'orchestre symphonique avec le groupe de rock - il n'y avait que quelques Anglais qui avaient fait ça, comme Procol Harum-. Ce sont des prémices, avec une naïveté de travail à tous les niveaux, des bruits de chaises, un mixage fait en vitesse. Mais c'est drôle de voir que Dan the Automator l'a samplé il y a quelques années pour faire Delton 3030, que c'est même sorti en pirate sur vinyle au Japon..."

Parce que Lux Aeterna, qui est enfin réédité dans l'intégrale, était devenu une légende. "Evidemment, à l'époque, ça a été un flop. Le monde de la musique était sectaire, avec un ravin entre la variété et l'orchestre. Il a fallu trouver des gens qui se regardent de chaque côté du ravin. Mais, quand j'ai eu envie de faire un album symphonique avec l'orchestre de Toulouse, personne ne m'a dit quoi que ce soit. Depuis trente ans que je suis avec la même maison (qui s'est appelée Philips, Polygram puis Universal), jamais on n'a demandé à vérifier qu'il y avait des tubes dans ce que j'avais écrit, je n'ai jamais fait quelque chose contre ma volonté."

Vraiment ? Sheller concède que, dans les années 70, on a bien essayé de lui faire endosser une image de chanteur très show-biz. "J'ai fait un ou deux reportages pour des magazines de jeunes, puis j'ai arrêté. J'avais envie de faire de la musique et d'aller me promener un peu partout, dans tous les genres. Petit à petit, on l'a accepté." Néanmoins, il a dû attendre d'avoir quelques tubes à son actif pour assouvir son envie d'orchestre symphonique, d'avoir accumulé disques d'or et victoires de la musique pour pouvoir faire enregistrer ses quatuors par le Quatuor Parisii. "L'âge permet des choses. Un créateur mature qui se promène au-delà des genres, c'est beaucoup plus acceptable qu'un demi-jeune chanteur qui a la prétention de faire de la musique savante."

Il a fait ses classes, patiemment, et de carte blanche dans des festivals classiques en commandes passées au compositeur William Sheller, il a élargi son univers. Ainsi, à la fin de la tournée, il entre en studio pour enregistrer des oeuvres classiques : la symphonie en trois mouvements que lui avait commandée le Festival de Sully-sur-Loire en 2004, deux élégies pour violoncelle et orchestre, des concertos pour trompette et orchestre. "Je suis un peu effrayé parce qu'en janvier je n'ai pas de projet - enfin si, j'ai envie d'entrer en studio vers le mois de mars pour un album de chansons dont j'ai déjà cinq titres, sur des bandes qui attendent que j'y mette des textes ; alors je vais travailler à la maison pendant les trois premiers mois de l'année prochaine, tout en préparant la sortie du disque de musique pour orchestre." Il a son sourire doux mais ferme : "J'en ai encore pris pour au moins trente ans."