Le Quotidien de La Réunion
15 février 2007
-Concert privé au théâtre de Champ-Fleuri à Saint-Denis de La Réunion, 13-2-07-

Sur le bout des doigts
(par Stéphanie Buttard)




En solitaire -mais jamais seul-, William Sheller a donné mardi soir le premier de ses trois concerts réunionnais, devant un théâtre de Champ-Fleuri plein à craquer.


Vêtu de noir sur une scène noire –hommage involontaire à Barbara, ou symbiose avec son piano ?-, William Sheller est revenu, cinq ans après sa dernière visite, faire vibrer un Champ-Fleuri plein comme un œuf mardi soir. Deux heures d’un concert peuplé de petites causeries, en tête-à-tête avec «ce gros éléphant noir qui prend la maîtrise des choses», comprenez son piano, compagnon d’une vie. «Quand il est de bonne humeur, il laisse résonner les notes», lui dit-il affectueusement, alors forcément, «son piano on en fait un ami».
C’est autour «d’une question qu’on me pose souvent : "Comment vous vient l’inspiration ? "» que l’ami du piano a organisé ses deux heures de concert. Vingt-deux chansons, autant d’histoires à raconter. Ça commence avec Symphoman : «Ce sont des couleurs qui se mélangent, comme un paysage», ce personnage «né d’un rêve oublié là». Puis «des fois, c’est un petit bout qui vous tourne dans la tête, une ritournelle, puis une image qui se superpose». Sont ainsi nées Les petites filles modèles.
Souvent aussi, la musique vient «des images d’enfance qui reviennent». Telle Yvonne, la vieille voisine, avec son chien jaune, ses tartines de confiture et ses poireaux à l’odeur pénétrante. Nicolas a vu le jour dans ce fumet d’enfance, petit garçon abandonné par ses parents le temps d’une si longue soirée… et d’une si émouvante chanson.
Elles sont nombreuses chez Sheller, les musiques venues d’images, telle Loulou, et son port breton, ou Les Miroirs dans la boue, nés d’une vision fugace sur une autoroute du Poitou.
«Et puis il y a les chansons coup de bol, il suffit d’un rien et tout s’enchaîne, on se dit : "ça doit être à quelqu’un d’autre, c’est du Julien Clerc"»… Mais non en fait, c’est bien du Sheller, ce «fier et fou de vous» qui clame son amour du haut de ses soixante ans et de son obéissant piano. Y’a pas d’âge.

Hommage à Barbara


Sur la même veine amoureuse, «des fois c’est juste pour suivre un visage un peu plus longtemps. Simplement», confie-t- il, pudique. Ou pour ne pas laisser mourir le souvenir d’une sieste crapuleuse, comme dans Les mots qui viennent tout bas. Et l’amour encore, mais platonique celui-là, pour Barbara à qui il dédie Les Orgueilleuses. La Dame en noir, celle qui l’a encouragé à chanter quand il composait pour elle.
En matière de muses, n’oublions pas les forces du mal, comme «ce cauchemar qui vous poursuit et vous force à écrire», et qui donne par exemple Oh ! j’cours tout seul, l’histoire d’un mec poursuivi par un train belge et sale…
Petit break pour aller tousser en coulisses, à cause de la clim – le Sheller est un être de froid et d’automne-, et il enchaîne les chansons «carte postale» : Mon Hôtel, Genève. Arrive ce petit garçon qui lui a ruiné une sieste un jour en chantonnant Maman est folle à côté de son transat. De cet émouvant souvenir est née une si belle chanson. Il y a aussi Elvira, image fugace d’une Espagnole dansant sur une plage autour d’un feu. Et la mémoire de son grand-père décorateur à l’Opéra, qui lui a permis «une vision d’en-haut de l’art lyrique» (le petit William s’installait juste au-dessus de la scène et des grosses cantatrices), et lui a inspiré la revanche de «Monsieur Butterfly».
Il y a aussi la «chanson punition», qu’il faut écrire après avoir trop fait la fête, telle Les Filles de l’aurore. Ou la magnifique rêverie au bord de l’eau des Machines absurdes. Une vieille pub de parfum a donné Cuir de Russie. Une chanson «pour tous ceux qui sont pas nets» a produit A franchement parler.
Enfin arrivent les deux derniers petits diamants du solitaire. Ses bébés, ses tubes. D’abord celle de 1991, «que je ne peux pas ne pas vous faire», chante «L’homme heureux». Et puis celle «du temps où je me faisais des brushings pour aller chez Guy Lux : Dans un  vieux rock’n’roll». Juste histoire de faire lever une salle unanime, touchée au cœur. Sheller en solitaire, vingt-deux chansons sur le bout des doigts, reste un diamant brut qui ne brille jamais autant que sur scène.

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Vendredi au TPA de Saint-Gilles et samedi au Tampon.