Le Soir
24 février 2016

Culture/Musique
William Sheller : "J'ai toujours été mysanthrope"
(par Thierry Coljon)


Il lance sa tournée la semaine prochaine au Cirque royal et au Forum.

* Les images du chanteur aux Victoires de la Musique avaient de quoi inquiéter.
* William Sheller a tenu à nous rassurer avant de venir les 1er et 3 mars en Belgique.

Entretien.
Lui non plus ne s'est pas reconnu en visionnant les images des récentes Victoires de la Musique. Visiblement ému, il était méconnaissable au moment de recevoir sa Victoire d'honneur, après l'hommage que lui ont rendu trois générations de femmes : Louane, Jeanne Cherhal et Véronique Sanson. En automne dernier, à la sortie de son album Stylus, il avait dû, pour des raisons de santé, annuler toute sa promotion en Belgique. William Sheller a tenu à nous rassurer.
- "Comment allez-vous, William ?"
- "Bien, ça va. A la sortie du disque, je n'ai pas pu venir en parler à Bruxelles, comme d'habitude, car il ne fallait pas que je sorte. Ils m'ont tellement énervé, en me mettant la pression, que je me suis fait une arythmie cardiaque. Du coup, il faut se calmer, se reposer. Ce que les firmes de disques ne comprennent pas toujours."
- "Au moment de réaliser le disque en 2015, comment vous sentiez-vous ?"
- "J'allais encore assez bien. C'est après que ça ne s'est pas arrangé, que je me suis retrouvé avec le cœur qui joue au ping-pong. J'ai passé décembre et janvier en analyse. Ce n'est pas grave, mais il faudrait que je refasse une petite intervention d'ici un an. J'en ai déjà fait deux, mais qui n'ont servi à rien. En fait, c'est à Liège qu'ils m'ont trouvé ce que j'avais. Ce sont toujours les Belges qui me sauvent. Pour le moment, j'avale des médicaments qui me font grossir. Je fais attention à ne pas boire trop de flotte...Je me suis vu à la télé, je me suis dit : mon Dieu, quelle horreur. Mais ce n'est pas dangereux."
- "Ca ira pour la tournée qui commence au Cirque royal, le 1er mars ?"
- "J'ai dit à tout le monde de s'arranger pour que ce ne soit pas trop stressant. C'est ce que m'a conseillé mon docteur liégeois. Je vais sur les 70 ans. J'ai aussi envie de ralentir un peu pour écrire et prendre le temps de vivre. Je n'ai plus très envie de tourner à l'infini. La précédente tournée a été trop longue. Là, ce que je fais, c'est un adieu, dans des salles que j'aime bien, à la formule avec le quatuor à cordes, tel qu'il a été créé au Théâtre 140. A côté de ça, je prépare quelque chose avec l'Orchestre royal de Belgique. Il faut être lucide : à partir d'un certain âge, un artiste ne vit que sur son passé. Alors, il doit ajouter de temps en temps quelque chose de nouveau pour remuer un peu le bocal et faire remonter à la surface des choses qu'on a bien aimées. Il y a toujours un côté passéiste. On n'accorde pas une possibilité de créativité géniale à un chanteur qui arrive à 70. Par contre, quand on travaille avec d'autres orchestres, dans d'autres disciplines scéniques, c'est autre chose. On peut écrire des symphonies jusqu'à 95 ans. C'est un autre monde. Ce n'est plus lié à l'actualité. »
- "Mais la scène, ça reste pour vous un bonheur immense..."
- "Oui, mais ça prend du temps. On ne peut pas tout faire en même temps. En plus, j'écris les textes, les musiques, les orchestrations, j'imprime les partitions. Je les fais répéter, je les dirige. Tout ça, c'est un boulot qu'un chanteur ne fait pas. Moi, je ne peux pas chanter les chansons des autres et faire faire mes orchestrations par quelqu'un d'autre."
- "Dans l'album Stylus, on vous sent malgré tout apaisé. Dans les textes comme dans la musique... On ressent une gande douceur..."
- "Je l'ai fait à des moment où j'étais tranquille. Ca a pris du temps. J'ai enregistré les cordes et le piano à Bruxelles, comme toujours, à ce bon vieil ICP. Les voix et les textes, je les ai écrits en France dans la maison où a été tourné le film Les Vacances de M.Hulot de Jacques Tati.Ils ont un peu changé la façade. J'étais tranquille là-bas."
- "Comme je m'ennuie de toi date de 1975, non ?"
- "Oui. J'aime bien faire ça : reprendre une très vieille chanson que je rebricole ou que je réorchestre. Je trouvais idiot à l'époque que le deuxième titre du 45 tours passe à la trappe."

- "Les Enfans du week-end évoquent les enfants du divorce. Une vraie douleur..."
- "C'est une horreur. A moi, à d'autres, à tout le monde. Ça court les rues et les gosses qu'on trimballe sont paumés. Je ne peux pas la chanter celle-là sur scène. Impossible. On m'a dit qu'elle était très dure."
- "Et Petit Pimpon ?"
- "Le fond de l'histoire, c'est : si tu n'es pas avec la personne que tu aimes, aime la personne avec qui tu es. Je m'accroche à ce que j'ai déjà vu. Bus stop vient d'un documentaire sur ces gens qui prennent de plus en plus le bus pour traverser la France ou l'Europe en payant moins cher. J'ai pensé à une séparation, le soir, à une gare routière. Les Souris noires, c'est un conte moyenâgeux. Walpurgis, c'est là où les sorcières font leur sabbat. C'est aussi médiéval. Du fantastique. C'est une image de ce qu'était, début du XIXe siècle, où on jouait chez soi des musiques, des chansons avec des esprits, de la sorcellerie, c'est du Schubert. C'est Le Roi des Aulnes, des trucs hallucinés qui plaisaient à l'époque. Je m'amuse avec la musique. Le morceau Le temps d'une heure de ciel bleu est caché car il est un peu jazzy –même si je n'aime pas le jazz–, il tranche. Je l'ai fait avec mes amis belges Decock, Baibay et Klenes. Je ne fais pas automatiquement des choses contemporaines. Ça m'amuse de jouer avec les styles d'autres époques, ou de la musique japonaise. Moi je ne fais pas une carrière, je fais ma vie de musicien. Si j'avais fait une carrière, j'aurai fait Juvet, que j'aime bien par ailleurs. On a assez fait la fête ensemble."
- "Vous ne faites plus la fête maintenant. On ne vous voit plus en boîte, que ce soit à Bruxelles ou à Paris"...
- "Non c'est fini tout ça. Et puis la poudre est moins bonne. Le premier étage du Mirano, avec les tables, c'était sympathique, j'aimais bien quand je vivais à Bruxelles. Ça s'est arrêté parce que je suis revenu en France, puis j'ai pris carrément les enfants en charge. Je me suis beaucoup calmé. Je vis à la campagne. Le show-bizz, on a bien vécu, on a bien rigolé, on a bien bu... Tout va bien, mais ce n'est plus mon trip. J'en ai bien profité, mais arrive un moment où on devient raisonnable, si ce n'est pour soi, c'est pour ceux dont on est responsable."
- "Ermite et misanthrope ?"
- "Misanthrope, j'ai toujours un peu été. L'être humain est une sale bête pour moi. A part ça, il y a des gens bien là-dedans, tout de même. Mais j'ai tendance à me méfier d'un peu tout le monde. Justement parce que j'en ai beaucoup vu. Je me contente de la famille et de quelques amis que je vois de temps en temps."
- "Vous étiez très ému aux Victoires de la Musique..."
- "Oui , c'était émouvant. Surtout quand tout le monde se met à hurler. Tiens, c'est comme à la télé, on se dit. C'est agréable de se sentir aimé. Et de voler dans les airs..."

* LE DISQUE :
Stylus
Son treizième album, sept ans après Avatars, est du pur Sheller, tendre et savoureux. Les cordes virevoltent au studio ICP d'Ixelles, sur des histoires tendres, comme Les Enfants du week-end (ceux du divorce), ou Une belle journée ensoleillée. William est plus que jamais cet orfèvre de la mélodie mélanco aux passions pastel, automnales et sépia.
CD Polydor-Universal.