Sud-Ouest
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24 mars 2016
-concert au théatre Fémina de Bordeaux, 23 mars 2016-

C'est déjà ça/
Le blog chanson
de Yannick Delneste, Philippe Ménard et Catherine Methon

Les souvenirs de M.William Sheller
(par Yannick Delneste)


Le chanteur d'
Un homme heureux était sur la scène du Fémina à Bordeaux hier soir. Piano et quatuor à cordes: décidément le meilleur écrin pour servir ses frissonnantes mélancolies nostalgiques.

On est de petites choses sensibles, finalement. « Qui connaît ma nature peut témoigner sans peine / De ma réserve extrême » : l'échine tremble au creux d'un blues joué par un quatuor à cordes. Deux violons, un alto et un violoncelle : carré magique au milieu duquel William Sheller est venu chanter quelquefois hier soir sur la scène du Fémina. La grande majorité du concert a été un dialogue entre cette formation arrivée de Belgique et chaleureusement applaudie, et ce M.William caressant son piano de sa voix blanche assez unique.

« On va prendre un p'tit la... C'est plus propre quand on joue juste. » Notre Tintin a pris de la bouteille mais reste joliment cabot. Et J'cours tout seul, premier de la quinzaine de classiques qu'il assure avec une intensité contenue, volutes vocales un rien réduites à la puissance de sa voix un rien en déclin. Cela ne gâche rien : les cordes vocales s'accordent magnifiquement avec celles du quatuor. Et révèlent peut-être encore mieux ses trésors de chansons.

Qui écrit comme Sheller, cette élégante alchimie de mots simples disant les sentiments complexes ? Peu, en fait. On sent l'artisan qui a poli et pourtant l'évidence de la poésie sourit. Nicolas est le chef-d'œuvre. « Les chansons sont des mélanges de choses vécues et inventées, c'est comme ça... » : Sheller introduit ses titres en racontant leur genèse plus ou moins précise. Une ville de montagne sur laquelle la nuit se fait (Mon hôtel), une vieille carte postale trouvée dans la bibliothèque d'une maison de vacances (Cuir de Russie), l'inspiration des personnages de Barbara (Les Orgueilleuses), le cadeau d'une pièce de musique à une amie libraire  (Pepperland)...

« C'est un souvenir... » Si l'expression est (un peu trop) récurrente, les images sont belles, douces et fortes. Sheller n'a finalement jamais cessé de chanter le temps qui fuit. Sa nostalgie pique doucement nos propres regrets, nos propres passantes qu'on n'a pas su retenir. Nicolas, Babayaga, Maman est folle, Petit Pimpon: l'enfant Sheller est toujours là. L'entracte après huit titres étonne mais ne rompt pas le charme qui revient, toujours plus émouvant, avec Les Filles de l'aurore. L'artiste ne livre que trois chansons du dernier album Stylus sorti en octobre. Outre ses incontournables guettés par un Fémina plein, il préfère rééclairer Les Machines absurdes, rêverie surréaliste au bord d'un lac. Magique.

Sheller évoque Barbara, la diseuse qui l'a incité à chanter, sa Victoire de la musique « pas en plexiglas ». Le quatuor réhausse, ponctue, nimbe, dynamise les divagations douces-amères de l'auteur-compositeur pointilleux. Un homme heureux en ouverture des trois chansons de rappel. Public debout. Le Carnet à spirales puis Comme dans un vieux rock’n’roll, seul au piano pour finir. La voix fatigue un peu, mais tout va bien : la tristesse tendre des années perdues nous tiendra chaud ce soir.