Paris-Match
18 au 24 mars 2021

L'entretien
William Sheller passe aux aveux
(par Benjamin Locoge)


Ayant renoncé à la chanson et aux concerts, le musicien a pris le temps de se raconter dans une autobiographie passionnante. Et nous en parle avec une sincérité désarmante.

Cette fois, c'est promis, vous n'entendrez plus William Sheller chanter. L'artiste au 14 albums, lauréat de 4 Victoires de la musique, a décidé qu'il était temps de raccrocher. Pas par manque d'inspiration mais par lassitude envers un métier qui ne l'a jamais vraiment intéressé. Car William Sheller se voit avant tout comme un compositeur, lui qui suivit l'enseignement d'Yves Margat, "mon maître", et qui s'égara dans la pop et la variété. C'est pourtant ce monde du showbiz qui lui permit de connaître le succès, la drogue, l'amour avec des filles comme avec des garçons. Les soirées folles des années 1970 et 1980, avec Catherine Lara ou Patrick Juvet, Sheller les raconte avec une multitude de détails dans son livre. C'est drôle, souvent moqueur, jamais méchant envers les autres, mais cruel envers lui-même. Dans sa maison près d'Orléans, où il vit depuis sept ans, il a démonté son home studio, vendu son piano à queue pour ne conserver qu'un petit clavier. Et n'éteint jamais sa télévision de peur qu'elle ne se rallume plus. Déconnecté du monde, de son métier. Mais certainement pas de la vie.

- Paris Match : « Pourquoi vous raconter maintenant ? »
- William Sheller :
« J'ai fait un burn-out il y a quelques années. Et dans les différents plumards des différentes cliniques que j'ai fréquentées, j'ai eu des flashs. Je crois aussi que c'est dans ce genre de moments et d'endroits qu'on commence à faire le bilan... Physiquement à l'époque j'étais sous cortisone, j'avais énormément gonflé, et j'ai compris que j'avais perdu beaucoup de temps dans ma vie... Donner un concert puis un autre, c'est ne plus pouvoir écrire, imaginer. Surtout quand vous êtes entourés de gens plus ou moins cons. Non, ce n'est pas une vie, ça. »

- « A ce moment, le profession décide de vous remettre une Victore de la musique d'honneur pour l'ensemble de votre carrière. »
- « Et là je me suis dit : "S'ils le ma filent c'est que ça sent le sapin". Tout le monde doit penser que je vais crever. Je les ai bien eux, hé hé ! »   

- « C'est après cette cérémonie que vous comprenez que votre carrière de chanteur est terminée. »
- « Ils ont transformé le monde de la chanson en télé-réalité, ils ont tout foutu par terre petit à petit. Il n'y a plus de création. Donc un autre monde va apparaître, tant mieux. Pour moi, c'est établi : je ne chanterai plus, je ne donnerai plus de concerts. Mais j'écrirai encore de la musique. »

- « En quoi est-ce établi ? »
- « Parce que je fais comme Greta Garbo. Rideau. Je disparais. Je vais quand même avoir 75 ans, donc il me reste quoi ? Quinze ? Vingt ans ? Vingt, ans c'est le temps de la vie d'un chien... »

- « Votre livre montre surtout une quête d'identité : personnelle, sexuelle et musicale. Et vous démarrez sur la révélation que vous fait Paulette, votre mère, sur son lit de mort : Jack Hand n'est pas votre père. Il s'agit en réalité d'une certain M. McLeod...
- « La Paulette avait mené une vie de patachon, donc ce n'était pas impossible qu'elle m'ait caché quelque chose. D'autant que je ne comprenais pas pourquoi je n'avais rien de commun avec cette famille de cinglés, entre ma tante qui voyait Jésus dans son salon et Jack, celui que j'avais longtemps cru être mon père, l'alcoolo qui se prenait pour un aventurier mais qui ratait tout. [il rit]. Donc Paulette me dit : "Ton père s'appelle Colin ou Thomas, je ne sais plus. Il vient du Michigan". Je suis rentré sonné chez moi. Ce jour-là, je n'avais plus rien. Plus de racines, plus de famille. Je ne pouvais en rester là. »

- « Vous allez mettre près de dix ans à trouver votre véritable père. »
- « Internet démarrait, et des gens qui cherchaient leur père biologique, il y en avait des dizaines...C'est en regardant les cérémonies du soixantième anniversaire du débarquement que j'ai découvert qu'il y a des familles qui se sont retrouvées. Alors je m'y suis remis. Et je suis tombé sur un Colin Thomas McLeod dans le Michigan. Il n'y en avait qu'un et je lui ait écrit une lettre. »

- « Sauf qu'il était décédé en 1989... »
- « Oui, et c'est Colin Cameron McLeod, mon frère, qui a ouvert ma lettre. Lui savait que j'existais. Un jour, alors qu'il regardait Out of Africa avec notre père, ce dernier lui a dit : "Moi aussi j'ai connu une magnifique femme blonde dont j'ai eu un fils en France." Ce qui prouvait bien que mon père m'avait vu, puisqu'il savait que j'étais un garçon. Quand Cameron a parlé à sa mère de mon courrier, elle lui a dit : "Regarde dans le portefeuille de ton père. Il y a deux photos d'une jeune femme qui ont toujours été une affaire entre lui et moi..." Et c'étaient des photos de Paulette. »

- « Vous êtez un McLeod désormais ? »
- « Je suis un McLeod, oui. A partir du moment où l'on est rentrés en contact, au bout de trois ou quatre e-mails, ils m'ont annoncé avoir réservé ma place dans le caveau familial. Donc mes cendres iront là. [Il rit] Et je serai un McLeod pour toujours. »

- « Si Paulette avait parlé plus tôt, vous auriez pu rencontrer Colin Thomas McLeod... »
- « Mais c'est tout ce qu'elle ne voulait pas. J'étais son fils à elle tout seule ! Elle envoie ma grand-mère me déclarer en lui demandant de bien spécifier "né de père inconnu". Ce qui m'étonne encore, c'est que j'ai toujours appelé Jack "Dad". Et quand j'ai reçu la photo de Colin Thomas, j'ai dit "papa" pour la première fois de ma vie. Ca fait quelque-chose de voir la tête de son père pour la première fois... Désormais, quand je rend visite à ma famille à Détroit, tout le monde me dit : "Mais qu'est-ce que tu lui ressembles !"

- « Vous sentez américain ? »
- « Oh oui, bien plus que français. Et j'ai toujours eu cette impression. Le côté "Ouais, ça va la faire" de La France, ce n'est pas mon truc. Moi, j'aime ce qui est carré, précis, professionnel. Et qu'on ne perde pas de temps. Le gestion du Covid en est l'exemple parfait. Un pas en avant, deux en arrière... »

- « La figure tutélaire de votre vie, c'est votre grand-mère maternelle. Chez qui vous atterrissez au milieu des années 1950. »
- « Oui  elle travaillait au Théâtre des Champs-Elysées, donc je me retrouvais souvent seul dans son petit studio. Alors, je lisais tout et n’importe quoi, de l'histoire de France à Angélique, marquise des anges, la Bibliothèque verte comme la comtesse de Ségur ou Shakespeare. C'est comme ça que je me suis forgé mon imaginaire. Dans les années 1970, ma grand-mère est venue vivre avec moi à Montfort-L'Amaury, notamment pour s'occuper de la maison. Et là, ça tournait. Elle a tenu la baraque. Aujourd'hui, j'ai toujours ses cendres près de moi... »

- « Elle a surtout été le témoin discret de vos frasques. Vos années 1970 ont été une longue course vers la décadence, non ? »
- « Ah! Ca a commencé en 1966, avec la découverte de Revolver, l'album des Beatles. On recherchait une forme d'absolu. Alors on prenait de l'acide ou on allumait un pétard, on mettait des cartons sur les vitres au cas où on sortirait de notre corps, le tout éclairé par une lumière rouge et on écoutait Ravi Shankar [Il rit]. Ah! L'afghan ou l'Iranien, my god, c'était autre chose que les trucs d'aujourd'hui... »

- « La drogue vous a aidé à composer ? »
- « On le pensait, en tout cas. On était cons.. Bon, la coke m'a aidé à tenir, à avoir du punch quand il fallait enchaîner les concerts. Mais elle a détruit ceux qui en ont trop pris, ceux qui n'avaient pas de vie intérieure, ou alors une vie bousillée par le boulot. Et dans la musique, j'en connais un paquet, de gens dans cette situation... »

- « Durant cette décennie, vous formez un triangle amoureux avec Nelly et Peter.
- [Il coupe] « C'est Nelly qui m'a poussé dans les bras de Peter ! Après, je ne crois pas qu'on puisse parler d'une histoire à trois. Peter était là quand Nelly n'était pas là. Ma rencontre avec Peter, c'est quand même quelque chose... J'étais tellement pété après avoir pris de l'ecsta en poudre et un window pane, ces petits carrés de gélatin remplis de LSD...Me voilà donc marchant dans Paris, quittant Le Trocadéro. Et là, ça monte, ça monte, je vois des ondulations de couleurs qui sortent des arbres et j'aperçois ce type qui s'approche de moi. J'ai l'impression que c'est mon double. Parce que Peter me ressemblait énormément. J'ai continué à marcher, il m' a suivi. Et à un moment, il m'a mis la main sur l'épaule : "Bon, on va aller jusqu'où ?" J'étais rassuré parce que c'était un être vivant. »

- « Qui va s'installer dans votre vie. »
- « Oui, pendant six ans. »

- « Une histoire d'amour ? »
- « Ah, c'est la grande question. Peter, c'est une histoire d'affection. L'unique véritable amour de ma vie, c'est Nelly. Je peux le dire maintenant qu'elle est morte. Avec Peter, je suis toujours resté dans une ambiguïté fraternelle. La peau d'un mec, ça ne me gêne pas. Peter, c'était comme mon frère. C'est pour ça que je le laissais vivre sa vie de temps en temps. Parce que moi, la gymastique suédoise, ce n'était pas mon truc. [il rit]. Une bonne pogne de potes, oui, un calin de potes, oui. Peter, c'était mon frère, c'était moi, c'était mon jumeau. »

- « Et un jour Nelly met fin à votre relation. »
- «  Elle m'a annoncé qu'elle voulait se marier avec un autre homme que moi, il était temps pour elle d'avoir des enfants. Moi, j'en avais déjà deux. Elle m'a présenté son futur époux, c'était une curieuse délicatesse, que j'ai appréciée tout de suite. On ne s'est pas perdus de vue pour autant, j'étais aux mariages de ses enfants. »

- « Peter, lui, a disparu de votre vie. »
- « Oui. Quand on vit dans mon entourage, la vie est facile : on est logé, blanchi, nourri, jointé, cocaïné. Au bout d'un moment, il ne travaillait plus. Ca m'énervait. Et il a commencé à me piquer ma coke, à picoler de plus en plus. Un soir, il était tellement bourré qu'il a failli nous tuer en voiture. Donc bye bye. »

- « On comprend qu'après eux deux, vous tirez un trait sur les grands histoires d'amour. Vous aurez des liaisons, des compagnons d'un soir. Mais rien de bien sérieux ? »
- « C'était fini, oui, j'ai fermé la porte à l'amour. Il y aura des rencontres, des amitiés. Je suis entré dans une asexualité. Je n'avais plus de désir, même si la bête fonctionnait encore. Ce sont des rencontres qui ne se sont plus faites. Mais ce n'est pas grave. »

- « Vous saviez qu'on se posait des questions sur votre vie amoureuse durant vos années de succès musicaux... »
- « Il traînait l'idée que j'étais un homme marié qui vivait avec un mec. Mais je m'en foutais, ceuxi qui m'entouraient connaissaient la vérité. »

- « Quel père avez-vous été ? »
- « Ah ça...Moi, je voulais une famille heureuse. Et je suis tombé sur Marianne, une femme qui voulait pondre des gosses tous les ans. Premier problème. Ensuite, nous avons eu deux enfants, Johanna en 1971, Siegfried en 1972 et cela me suffisait amplement. Je démarrais dans ce boulot, je gagnais juste assez pour qu'on puisse se nourrir. Mais mon épouse tirait la tronche dès qu'elle n'étais pas enceinte. Ne voulait pas sortir. Alors que moi j'avais besoin de rencontrer du monde. Donc on s'est séparés peu après la naissance de Siegfried,en 1972, sans trop de poblèmes. »

- « Mais cela ne va pas durer. »
- « Effectivement. Mes enfants se sont construits avec une mère qui leur interdisait le téléphone, la radio et la télévision. Qui me dépeignait comme le diable parce que j'avais tourné  un clip dans lequel j'étais accompagné de deux putes. Et un jour, Johanna m'a fait appeler par une copine : "Votre fille veut vous parler." Là, elle me demande d'une voix douce : "Je peux venir vivre chez toi ?" Elle était persuadée que je refuserais...Je l'ai accueillie aussitôt. Son frère nous a rejoints un an plus tard, à sa demande aussi, et là, je suis allé au commissariat déposer une main courante, en expliquant que mes enfants m'ont demandé asile parce que leur mère est sous influence d'une secte religieuse. C'était grossier, mais ce n'était pas faux. Et quand, six mois plus tard, elle s'est souciée d'eux, qu'elle est allée à son tour voir la police, on lui a répondu : "Mais c'est maintenant que vous vous en souciez ? Ils sont chez leur père." »

- « Les choses sont apaisées désormais ? »
- « Elle n'a plus de rapport avec le monde. Elle a été punie par Jésus, estime-t-elle, après son troisième enfant. Johanna a vu des pays formidables pendant quelques mois, Siegfried a fréquenté une école un peu à part. Ils ont leur vie, je vois encore ma fille, c'est elle qui m'a conseillé de me pacser avec Joël, l'homme qui veille sur moi et la maison. Siegfried, je n'ai pas trop de nouvelles. »

- « Vous allez faire quoi, maintenant que ce livre est sorti ? Vous savez que vos fans rêvent de vous voir encore sur scène. »
-« Et si j'étais mort, ils feraient quoi ? Je le répère : je fais ma Garbo. »

- « Mais vous êtes bien vivant. »
- « Eh bien , tans pis : C'est fini, je ne joue plus de piano depuis 2016, je n'ai plus donné de concert depuis 2016. J'ai même vendu mon piano. »

- « Donc vous aurez de quoi vivre en ne faisant rien ? »

«  Quand on a écrit pendant quarante ans, ça finit par faire un bon petit matelas. De moins en moins épais. Mais toujours important. »

- « Ce métier vous a broyé ? »
- « Broyé, c'est un grand mot. Il m'a fait perdre mes rêves de gosse. Et vous savez quoi ? Depuis que j'ai pris cette décision, mes rêves de gosse reviennent. Pendant cinquante ans, j'ai fait de la musique. Maintenant, pour les vingt prochaines années, je vais pouvoir redevenir un mélomane. »

 

PROFIL:

- 1946 : Naissance à Paris de William Desboeuf, né "de père inconnu".

- 1972 : Premier disque. Lux aeterna, symphonie composée pour le mariage d'amis.

- 1991 : Avec Un homme heureux, il signe un classique qui lui vaudra deux Victoires de la Musique.

- 2000 : Les Machines absurdes, son hommage personnel aux Beatles.

- 2015 : Stylus, son ultime album, dont la sortie fut précipitée à son goût.

 

Avec Véronique Sanson, une passion secrète

« Véro et moi, c'est au-delà de la musique. Seulement elle est tellement borderline, et moi aussi, qu'entre nous c'est une histoire impossible, c'est une bouffeuse d'hommes. Elle a sa chanson, Véro.. "C'est un piano qui m'appelle de loin, jusqu'à l'autre bout, d'une étrange amitié fidèle » [Enygma Song] Mais je ne lui ai jamais dit. Longtemps on a pensé inventer un spectacle à deux pianos. Mais il aurait fallu le faire sur une île déserte, sans coke, sans alcool. Heureusement, elle est venue chanter à mes funérailles [allusion aux Victoires de la musique 2016] c'est déjà ça. »