Var Matin
(édition de Toulon-La Seyne-Sanary)
2 avril 2021

Mag-culture
Les confidences de William Sheller
(par Laurence Lucchesi)



Si l’on connaît ses tubes, tels Un homme heureux, on ignorait qu’il était un musicien classique. Et une plume, comme le révèle William, symphonie autobiographique by Sheller.

Sur la couverture du livre, on le découvre, sur une photo en noir et blanc, petit bonhomme en vareuse de marin, expression grave et blondeur angélique. « Si j’ai tenu à écrire mon autobiographie, à ne pas m’en remettre à quelqu’un d’autre pour raconter mon histoire, c’est parce qu’il n’y a que celui qui a vécu, qui a regardé, qui a entendu, senti les odeurs... qui peut le faire avec les mots justes, nous confie-t-il. Et je voulais privilégier l’humain sur le professionnel. C’est pour cela que j’ai mis cette photo de moi qui était sur le passeport de ma mère, lorsque nous sommes rentrés en France. Parce que je continue d’être ce gamin de sept ans prisonnier du corps d’un homme qui va devenir un vieillard. Comme l’exprimait Emil Cioran dans De l’inconvénient d’être né. »


Encouragé par Françoise Hardy

Encouragé par Françoise Hardy, « sachant, dit-il, qu’elle n’est pas du tout du genre à faire des compliments pour n’importe quoi », il continue d’égrener son long chapelet de souvenirs dans d’innombrables Carnets à spirales. D’une plume trempée dans l’encre de ses émotions, qui révèle un écrivain véloce, d’une rare sensibilité. Comme tous les gamins dont l’enfance a été marquée par un secret, celui de l’identité de son père, en l’occurrence.
Un secret qu’il ne découvrira qu’à la cinquantaine. Car Paulette, sa mère, « ce chameau », comme il la qualifie, l’avait fait déclarer par sa grand-mère « Né de père inconnu ». Alors que ce dernier, un Américain, était même revenu à Paris à ce moment-là pour tenter de retrouver William ! Mais Paulette ne révélera la vérité à son fils que sur son lit de mort, en 1998. Le chanteur découvrira aussi, quelques années plus tard, de la bouche de ses frère et sœur enfin retrouvés, à quel point il ressemblait à l’Américain Colin T. MacLeod, l’auteur de ses jours... « Qui jouait de la guitare, du violon et dirigeait la chorale de l’église américaine à Paris ! », sourit William Sheller. Il sera malgré tout riche d’un double enracinement : le Paris des années 1950, des 4 CV, et l’Amérique des Cadillac. Car Paulette tombe amoureuse de Jack, un Américain qui travaille dans des boîtes de jazz. Long séjour dans l’Ohio, à deux heures de route du Michigan où vit le père biologique de William, sans qu’il le sache alors.
Très tôt, le jeune William montre une prédisposition pour la musique. « Je suis allé à quinze ans prendre des cours chez Yves Margat, qui avait été formé par Gabriel Fauré... lui-même ancien élève de Camille Saint-Saëns ! Ravi d’apprendre que je voulais devenir compositeur de musique, il m’a non seulement transmis tout son savoir musical mais a tenu à devenir aussi mon précepteur. C’est ainsi qu’il m’a enseigné également la littérature, le grec...» Premières auditions, premier succès planétaire en 68, avec My Year Is A Day, dont il compose la musique, puis la rencontre avec Barbara, pour qui il travaille et chez qui il vit. « Elle m’a encouragé à chanter, en m’expliquant que j’étais un diseur, tout comme elle », se souvient-il. Il cumule ensuite sa nouvelle vie de père de famille et de vedette du showbiz. Comme dans un vieux rock’n’roll, William Sheller zigzague entre Paris, la province, l’étranger, les nuits de folie, la cocaïne. Et l’ambiguïté sexuelle, « entre Nelly, son amour, et Peter, son jumeau de cœur, avec lequel il vit un état homo-romantique, sans désir sexuel. »

Une vie constellée d’étoiles et d’astres déchus.


Traversée de folles expéditions avec Nicoletta et Patrick Juvet à Trouville, de relations intenses avec Joe Dassin, dont il admire l’érudition, ou de Catherine Lara flanquée de son inséparable Do. Ensemble, ils fréquentent d’improbables cabarets, se déguisent en personnel de restaurant pour voir la tête des clients... L’époque de ces frasques, comme de la scène, est désormais révolue : « J’ai annoncé que plus jamais je ne jouerai de piano, mais je vous ai aimés », rappelle celui dont l’œuvre est saluée par toutes les générations, de Véronique Sanson à Jeanne Cherhal. Son unique projet du moment : écrire la suite de William. En écoutant Eddy de Pretto, qu’il apprécie, et en se souvenant que si l’état de bonheur est toujours fugace, il aura eu sa part et donc été, au moins quelquefois, Un homme heureux...